KOREA FOUNDATION

 

Quand viennent le printemps ou l’automne, les acheteurs se pressent tous les troisièmes samedis du mois sur une place où s’élève le Grand Théâtre Haeoreum, qui est la salle principale du Théâtre national de Corée situé à Séoul, dans le quartier de Jangchung-dong. Si certains viennent y assister aux spectacles représentés sur la scène temporaire qui se trouve en son centre, c’est la manifestation dite «Art in Marché» qui attire le plus de curieux par son superbe choix de produits frais, plats et produits d’artisanat.

Parmi eux, un consommateur conquis à ce lieu témoigne de sa satisfaction devant les étals regorgeant de légumes récoltés à peine quelques heures plus tôt: «Ce doit être pour cela que la cuisine que l’on fait avec eux est si savoureuse! En plus, les marchands donnent tout un tas de conseils utiles sur certaines façons de cuisiner ou sur les procédés qui permettent de conserver toute leur fraîcheur aux aliments.»

Par ailleurs, le rôle de ces marchés appelés Marché@ ne se limite pas à celui de la vente directe du producteur au consommateur, car ils dépassent cette fonction purement commerciale en se faisant lieux de socialisation créateurs de lien. Leur vocation première consiste en effet à permettre à ceux qui les fréquentent d’échanger et de nouer des liens d’amitié ou d’autres relations, tout en fournissant des explications détaillées sur les différents produits et en sensibilisant chacun à la protection de l’environnement.

 

L’échange et la création de lien

Selon l’une des clientes de ces nouveaux marchés, «dans un monde où prolifèrent les plateformes concurrentes, le seul fait de mettre en relation agriculteurs et acheteurs a son importance.»

Ces derniers trouvent dans ce cadre des réponses aux questions qu’ils se posent sur les légumes et autres produits alimentaires directement auprès de leurs producteurs, tandis que ceux-ci ressentent à la vue de ces clients enthousiastes la fierté du travail bien fait que ne permet pas d’éprouver la simple livraison aux intermédiaires des canaux de distribution.

Un producteur local qui vend lui-même du houmous et des sauces végétariennes à base de haricots évoque à son tour le rôle de ces marchés: «Pour moi, ils sont vraiment précieux, car sans eux, je n’aurais jamais la chance de rencontrer les clients.»

Outre celui qui se tient devant le Grand Théâtre Haeoreum, nombre d’autres sont gérés par l’association du Marché des agriculteurs dans le cadre de partenariats qui se sont créés avec des organismes partageant ses principes fondateurs et qui peuvent conduire à ouvrir des magasins éphémères également cogérés. En 2019, une collaboration avec le Musée national d’art moderne et contemporain de Corée (MMCA) allait même déboucher sur différentes manifestations à l’occasion du cinquantième anniversaire du musée.

Des premiers pas sur les toits

Un premier Marché@ a vu le jour en octobre 2012, dans le quartier de Hyehwa-dong situé à Séoul, à l’initiative de trois femmes qui pratiquaient l’agriculture sur toit et se retrouvaient sur leur vision de pratiques biologiques, mais aussi d’une distribution directe. Elles ambitionnaient de dépasser la simple dimension commerciale des échanges de biens et d’argent pour concevoir des espaces propices aux relations humaines et au dialogue direct.

Désireuses de donner à leur marché un nom qui soit évocateur d’un lieu accessible à tout moment et partout, elles allaient porter leur choix sur l’association du symbole @ avec le mot français «marché».

Au terme de dix années d’existence, cette association à but non lucratif a déjà à son actif la création de plusieurs grands marchés très dynamiques, notamment celui qui se trouve dans le parc des Marronniers de Daehangno, au cœur du quartier de Hyehwa-dong, et a été le premier Marhé@. Cette initiative allait rencontrer un important succès, nombre de jeunes accourant sur les lieux pour découvrir les produits et l’atmosphère originaux de ce marché résolument moderne et différent des autres.

Dans les quartiers de Seogyo-dong et Seongsu-dong également situés à Séoul, les marchés aux légumes des Marché@ témoignent de la réelle volonté qui est celle de leur association d’être en lien avec la vie quotidienne de la population locale.

Si chacun des marchés qu’elle gère possède une atmosphère et une organisation qui lui sont propres, le dénominateur commun qui existe entre eux réside dans la recherche d’échanges francs et animés que viennent y chercher les gens.

 

Des formules attrayantes

Ailleurs, l’essor constant que connaissent de tels lieux résulte aussi des multiples activités que met en place une équipe d’organisateurs nommée Marché Friends (amis du marché), laquelle s’emploie à rationaliser le fonctionnement des marchés et à sensibiliser les consommateurs à l’importance fondamentale de l’agriculture par le biais de différentes actions. Celles-ci portent notamment sur l’édition de documents expliquant les liens qui unissent plantations, techniques agricoles, état des terres et situation des écosystèmes qui s’y trouvent.

Ces organisateurs proposent aussi des formules de visite grâce auxquelles les consommateurs peuvent se rendre dans des exploitations agricoles pour découvrir par eux-mêmes la manière dont les agriculteurs réalisent leurs activités et pour dialoguer avec eux. En outre, l’équipe de Marché Friends, c’est-à-dire les organisateurs de chaque Marché@, met en place des partenariats avec des agriculteurs, des chefs cuisiniers et des consommateurs pour créer et réaliser des projets qui s’avèrent favoriser toujours plus d’échanges et de dialogues entre ces différents groupes.

L’un des membres de Marché Friends explique que ces manifestations s’inspirent de l’histoire des marchés traditionnels, lesquels ont fourni autant d’espaces créateurs d’un lien communautaire. Il souligne que l’alimentation, qui est indispensable à la vie, peut aussi fournir un motif de création de lien et d’engagement du dialogue, contribuant ainsi à relier entre elles des vies jusque-là isolées et à leur permettre de repartir sur de nouvelles bases.

En 2017, dans un rapport sur le développement durable intitulé Words Become Seeds, l’association allait quant à elle indiquer que cette même idée de «création de lien» se situait à l’origine de ses initiatives tout en mettant l’accent sur le rôle que l’alimentation peut jouer à cet effet entre zones urbaines et rurales.

 

La question de l’environnement

Les marchés que gère l’association s’engagent dans une démarche de durabilité et de réduction du nombre de déchets en plastique que les consommateurs accueillent très favorablement, les acheteurs y apportant non seulement leur sac à provisions, mais aussi des gobelets et autres récipients réutilisables. Cette ferme volonté d’adopter des pratiques respectueuses de l’environnement est perçue comme l’un des principaux points forts de ces marchés. L’association se montre aussi efficace dans la sensibilisation du public aux incidences des pratiques de consommation individuelles sur les écosystèmes, qu’à leur impact potentiel à un niveau plus global.

La création de marchés de producteurs urbains est intervenue en réponse aux problèmes entraînés par la production de masse et c’est pour soutenir cette cause qu’Helena Norberg-Hodge, autrice de Ancient Futures: Lessons from Ladakh for a Globalizing World, a créé l’organisme à but non lucratif Local Futures. Dans cet ouvrage dont la première édition a paru en 1991, elle appelle à une relance de l’agriculture locale pour dynamiser l’économie et apporter des ressources aux communautés du Ladakh, cette région sous administration indienne. À cet effet, elle préconise la pratique de la polyculture par de petites exploitations, laquelle favorisera la production et la consommation locales.

Trente ans plus tard, la qualité de la production de ces petites exploitations n’est toujours pas reconnue à sa juste valeur, d’où l’apparition et l’essor de marchés de producteurs fonctionnant sur le modèle des marchés traditionnels, une évolution qui se révèle positive.

Si les marchés fermiers tendent à se multiplier dans toute la Corée, nombre d’entre eux ne se déroulent que de manière occasionnelle, ce qui ne permet pas la formation de véritables communautés. Afin de garantir leur croissance future, il convient impérativement d’aller à la rencontre des consommateurs en leur fournissant des informations pertinentes sur l’agriculture et l’environnement et en les incitant à s’engager par des initiatives et formules d’activités attrayantes, comme l’association a su le faire avec succès.