Si certaines séries coréennes au contenu violent ont fait sensation dans les médias et indiscutablement suscité un engouement mondial, d’autres, à caractère sentimental, allient des éléments romanesques à l’humour et à la recherche de l’épanouissement personnel. Occupant une place de premier plan dans le paysage audiovisuel coréen, ces divertissements que désigne le néologisme « K-melodrama » véhiculent un ensemble de valeurs auxquelles sont attachés les jeunes adultes d’aujourd’hui.
Kingdom, Squid Game, Hellbound, All of Us Are Dead : autant de séries coréennes que diffuse Netflix avec le succès que l’on sait et qui pourraient laisser penser que les productions du pays se limitent à ce genre.
Depuis toujours, les séries où se mêlent amour, ambition, comédie et tragédie sont pourtant de grands classiques du divertissement télévisé coréen. L’étincelle qui a véritablement enflammé la ferveur du public pour ces feuilletons appelés « dramas » s’est produite en 2002, lors de la diffusion par KBS de Winter Sonata, qui a touché le cœur des téléspectateurs japonais. Un an plus tard, la série historique Dae Jang Geum, également connue sous le titre Joyau du palais, allait à son tour conquérir un public étranger toujours plus nombreux. Des créations du même type allaient lui emboîter le pas avec un égal succès, dont My Love from the Star et Crash Landing on You respectivement diffusés en 2013 et 2019.
Si l’alchimie que réalisent ces divertissements séduit encore le public, celui-ci a quelque peu perdu de son enthousiasme. En 2021, l’année même où Squid Game fascinait les téléspectateurs du monde entier par sa mise en scène d’impitoyables situations de survie, la comédie romantique Hometown Cha-Cha-Cha, dont l’action se situe dans une petite station balnéaire, n’en conservait pas moins sa place parmi les dix meilleures séries de Netflix dans de nombreux pays. De même, pendant que malfaiteurs et criminels se voyaient sévèrement condamner dans Hellbound, l’idylle qui se noue dans le palais imaginaire de A King’s Affection permettait également à cette série de se classer parmi les dix feuilletons les plus suivis.
Les téléspectateurs y ont aimé la retenue avec laquelle les personnages masculins comme féminins manifestaient leurs désaccords et leurs émotions, la fidélisation à cette série ayant en outre été favorisée par une plus grande disponibilité grâce au streaming OTT (over-the-top) fourni par de nouveaux prestataires tels que Netflix.
Tout d’abord rivales dans leur sport, l’escrime, les deux héroïnes de Twenty Five Twenty One finiront par devenir les meilleures amies du monde et s’apporteront soutien et encouragements mutuels.
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Des valeurs nouvelles
Aujourd’hui, ce genre fictionnel télévisé est désigné par l’ « K-melodrama » ou par son abréviation « K-melo ».
S’il ne semble guère avoir évolué dans ses histoires d’amour à l’eau de rose, il a résolument changé sur le fond comme sur la forme pour s’adapter aux nouveaux créneaux d’âge de son public, qui sont ceux des milléniaux et de la génération Z, c’est-à-dire des adolescents aux quadragénaires. La séparation entre vies privée et professionnelle étant beaucoup plus importante à leurs yeux qu’elle ne l’était pour leurs aînés, les K-melodramas s’attachent à dépeindre des personnages qui recherchent avant tout bonheur et découvertes enrichissantes, ainsi que l’impression d’exister par leur socialisation.
Le changement le plus notable réside dans l’absence presque totale de ce personnage de « Cendrillon » autrefois omniprésent dans les feuilletons, car les histoires de princes charmants qui sauvent une femme de sa situation précaire ne semblent guère passionner les téléspectateurs de nos jours. Ceux-ci adhèrent au contraire à des personnages des deux sexes présentés sur un pied d’égalité et partageant des intérêts, valeurs et modes de vie communs qui leur permettront de s’aimer durablement.
L’héroïne de la série Hometown Cha-Cha-Cha, une dentiste qui vient d’ouvrir son cabinet dans une petite station balnéaire pour échapper à la vie trépidante de la capitale, y fait la rencontre d’un homme qui se révèle être très instruit et intelligent, en dépit du fait qu’il tire sa subsistance de menus travaux, et elle finira par tomber amoureuse de lui, ce qui bouleverse les idées reçues à cet égard. Dans Our Beloved Summer, une des séries diffusées l’année dernière où l’originalité du scénario a également été la clé du succès, deux jeunes gens qui avaient vécu un premier amour réciproque se revoient une dizaine d’années plus tard dans le cadre d’un film aire qui leur est consacré, la série mettant là aussi l’accent sur leurs émotions plutôt que sur leur situation.
En effet, le désintérêt pour le succès et la richesse représente une constante chez les personnages de K-melodramas, aux yeux desquels les relations et plaisirs simples de la vie ont beaucoup plus d’importance et, si les publics de tous pays peuvent s’identifier à eux, c’est qu’ils possèdent eux aussi des valeurs, priorités et besoins nouveaux.
La série sentimentale Thirty-nine parle de l’amitié, de l’amour et des émotions que partagent ses trois personnages féminins bientôt quadragénaires.
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Hometown Cha-Cha-Cha évoque l’histoire d’amour que vivent une dentiste et un homme à tout faire particulièrement intelligent, ainsi que les liens chaleureux qu’ils entretiennent avec les autres habitants de leur petite station balnéaire.
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Des divergences
La jeunesse coréenne actuelle se démarque des générations précédentes à l’existence centrée sur le travail par une recherche d’équilibre entre vies professionnelle et privée. Les temps sont révolus où la valeur d’une personne se mesurait à l’aune de sa carte de visite, car c’est au bonheur de faire ce qui leur plaît en dehors du travail qu’aspirent les jeunes d’aujourd’hui. On retrouve d’ailleurs cette même préoccupation dans la série Hospital Playlist, où des médecins occupent leur week-end à jouer dans le groupe de musique qu’ils ont créé et satisfont ainsi leurs goûts au lieu de courir après l’argent.
Si les K-melodramas, pour la plupart, portaient jusqu’ici sur les rapports entre hommes et femmes, ils se diversifient désormais en traitant d’autres relations. La série Thirty-nine, par exemple, contrairement à celles d’autrefois qui évoquaient souvent des femmes rivalisant pour « mettre le grappin » sur un homme, a consacré son dernier épisode diffusé en mars dernier à l’amitié qui se noue entre ses trois héroïnes, et non à leurs relations amoureuses.
Aujourd’hui, le public des K-melodramas manifeste un intérêt qui dépasse le seul récit d’une histoire d’amour, élargissant ainsi les perspectives de ce genre fictionnel à des « drames humains ». Dernièrement, la série Twenty Five Twenty One a ainsi eu pour personnages deux escrimeuses nommées Na Hee-do et Ko Yu-rim qui, après s’être affrontées dans leur discipline, deviennent les meilleures amies du monde et s’entraident. La série Hometown Cha-Cha-Cha mettait elle aussi l’accent sur la chaleur humaine que peut trouver chacun au sein d’une communauté et qui a disparu ailleurs en raison d’un individualisme croissant. Tandis que les dramas d’hier ne situaient pas leur action dans un cadre professionnel très précis, ceux d’aujourd’hui en brossent un tableau beaucoup plus concret qui contribue au réalisme des situations.