Près de trente ans après s’être initié au taekwondo, Anton Scholz en a acquis une excellente connaissance qui fait de lui un expert très recherché dans ce domaine, soit en tant que journaliste ou homme d’affaires, soit pour des interventions dans les émissions d’une chaîne de télévision régionale de Gwangju.
Est-ce le destin ou l’attrait de l’Asie qui a incité un jour Anton Scholz à pousser la porte d’un studio de taekwondo alors qu’il n’avait que seize ans ? Selon le principal intéressé, la réponse à cette question se trouverait dans son karma, mais il n’en demeure pas moins qu’en trente-deux années, il figure en Allemagne parmi les meilleurs spécialistes de la Corée.
« Au collège, je m’intéressais déjà beaucoup à l’Orient et plus particulièrement à sa philosophie, à sa religion et à sa culture », se rappelle-t-il en évoquant son adolescence à Hambourg. « Mon maître de taekwondo, qui s’appelait Shin Boo-young, enseignait non seulement les techniques de combat, mais aussi la manière de pratiquer le do, qui est l’épanouissement de l’esprit ».
Ainsi, c’est par le biais du taekwondo qu’Anton Scholz a été attiré par le bouddhisme en 1988 puis, six ans après cette découverte, il allait suivre le conseil d’un moine venu de Corée et s’envoler vers ce pays qu’il ne connaissait pas. « Je me disais que je rentrerais dans un an, mais j’y ai presque passé la moitié de ma vie », confie-t-il.
Dès son arrivée, l’homme allait se lancer dans l’étude du coréen à l’Université nationale de Séoul, qqu’il menait de front avec celle de la civilisation de l’Extrême-Orient, en s’intéressant notamment à la pratique de la méditation, à la signification des huit trigrammes dits bagua, ou palgwae en coréen, et à la pensée de Lao Tseu. Au terme de cette initiation, il rentrera en Allemagne pour l’approfondir à l’Université de Hambourg, alors l’un des rares établissements d’enseignement supérieur allemands à proposer un cursus spécialisé dans la culture coréenne, dont il va d’ailleurs être l’unique étudiant en première année, puisque ses camarades sont davantage attirés par le Japon ou la Chine.
À son retour en Corée, Anton Scholz exercera des activités de consultant, journaliste et enseignant, tantôt en parallèle, tantôt en alternance, mais il se centrera sur la première en conseillant les étrangers qui envisagent de s’installer en Corée comme en informant les Coréens désireux de s’établir en Allemagne.
Anton Scholz se tient devant la maison qu’il a fait bâtir il y a trois ans à Jangdeok-dong, un quartier de la ville de Gwangju où il s’est installé avec sa famille et a enseigné à l’Université Chosun de 2003 à 2011.
Une passerelle entre deux cultures
Dans le cabinet à guichet unique qu’il a créé à cet effet, Anton Scholz propose un ensemble de services destinés à favoriser l’intégration progressive des nouveaux arrivants et la création d’entreprises par ceux-ci, comme il l’a fait auprès de participants étrangers aux Championnats du monde d’athlétisme de l’IAAF de Daegu, en 2011, à l’exposition internationale de Yeosu, un an plus tard, et à la finale de la Coupe du monde de football co-organisée par la Corée et le Japon en 2002. Il allait également ouvrir une agence fournissant des prestations de traduction, ainsi que des solutions d’hébergement et de transport destinées aux journalistes étrangers de passage dans le pays à l’occasion de telles manifestations.
De 2003 à 2011, Anton Scholz enseignera en outre la langue allemande et la communication internationale à l’Université de Chosun située à Gwangju, une ville du sud-ouest de la Corée où le rejoindra sa famille.
Par ailleurs, cet ancien chargé de production de la chaîne allemande ARD exerce aujourd’hui le journalisme en free-lance, ce qui l’amène aussi à intervenir dans des débats et talk-shows télévisés. Sur sa carte de visite professionnelle, figure la mention « représentant honoraire de la ville libre et hanséatique de Hambourg ».
« Je m’épanouis à ce point dans le travail que j’aimerais souvent qu’une journée dure plus de vingt-quatre heures », reconnaît Anton Scholz, ce qui explique certainement ses affinités avec un pays où la durée de travail est particulièrement longue, et il redouble même d’activité lorsque l’actualité des relations intercoréennes conduit des chaînes de télévision du monde entier à faire appel à lui.Cette collaboration lui offre la possibilité de jouer officieusement le rôle d’ambassadeur de la culture coréenne dont il s’est notamment acquitté en 2002 lors de la Coupe du monde de football. À cette occasion, il est arrivé que les médias allemands fassent état de leur préférence pour le Japon en mettant en avant les mauvaises manières et prestations décevantes supposément constatées en Corée. « J’ai fait valoir la méconnaissance du pays sur laquelle reposait cette impression », se souvient Anton Scholz. « En fin de semaine, je faisais visiter des lieux historiques à mes confrères et leur fournissais des informations sur la culture coréenne, alors, quand la Coupe du monde a pris fin, ils m’ont déclaré avoir changé d’avis ».
« Je m’épanouis à ce point dans le travail que j’aimerais souvent qu’une journée dure plus de vingt-quatre heures »
Le journaliste indépendant et consultant à temps partiel Anton Scholz au travail dans son bureau. Cet éminent coréanologue participe également dans la diplomatie culturelle coréenne en faisant la promotion du pays à l’étranger.
Des critiques bien intentionnées
En toute ivité, Anton Scholz exprime parfois un avis négatif sur certains aspects de son pays d’accueil, notamment en matière d’éducation et d’information du public. Il émet ainsi des doutes quant à la bonne diffusion de celle-ci dans la mesure où les journalistes travaillent parfois de manière permanente pour des agences de presse publiques ou pour des chaebol, ces grands groupes industriels familiaux, et déplore que la profession entretienne de ce fait « des liens trop étroits avec ses sources et [que le pays soit] insuffisamment ouvert sur l’extérieur » dans ce domaine.
À titre professionnel, il met aussi en cause la manière dont la presse rend parfois compte de certains événements tels que l’arrivée de quelque 550 réfugiés yéménites sur l’île de Jeju en 2018 et la demande d’asile qu’ils ont déposée auprès des services concernés. La présentation tendancieuse de ces faits dans la presse allait provoquer une polémique nationale sur le bien-fondé de l’octroi de ce statut.
« Ceux qui s’y opposaient n’ont pas hésité à recourir à l’infox pour attiser la haine à l’encontre des réfugiés », s’indigne Anton Scholz. « Jusqu’aux organes de presse officiels qui faisaient circuler des informations sur les réseaux sociaux sans avoir vérifié au préalable la véracité des faits, dont bon nombre allaient d’ailleurs s’avérer être inexacts ».
La question de l’intégrité de la presse s’était posée dès le soulèvement pro-démocratie de mai 1981 où le reporter de télévision allemand Jürgen Hinzpeter (1937-2016) avait courageusement filmé la répression sanglante de la révolte des habitants de Gwangju et fait ainsi découvrir au monde le calvaire que vivait cette ville isolée par l’instauration de la loi martiale. « J’éprouve beaucoup de respect envers le grand journaliste que fut Jürgen Hinzpeter », déclare Anton Scholz à ce propos. « Aujourd’hui encore, d’autres confrères sont certainement prêts à risquer leur vie pour trouver la vérité ».
Anton Scholz a d’ailleurs participé à la réalisation d’un film aire consacré à son illustre prédécesseur et joué un petit rôle dans un film de 2017 intitulé Un chauffeur de taxi, qui raconte l’histoire vraie de Kim Man-seop, grâce auquel Jürgen Hinzpeter put se déplacer plus facilement lors des événements de Gwangju.
Anton Scholz (deuxième à partir de la gauche) à la session intitulée « Guerre économique : qu’y a-t-il à y gagner ? » qui avait lieu en juin dernier à l’hôtel Shilla de Séoul dans le cadre du 10e Forum stratégique d’EDAILY.© EDAILY
Sur la chaîne de télévision KBS, Anton Scholz a participé à un débat intitulé « L’ancien président Roh Moo-hyun et la réforme de la presse » lors de l’émission « Journalism Talk Show J ». Connu pour son esprit d’analyse et son franc-parler, Scholz est souvent invité à débattre de thèmes d’actualité.Capture d’image de l’émission « Journalism Talk Show J »
Un point de vue sur la réunification
Évoquant la réunification allemande, Anton Scholz souligne qu’elle a constitué l’aboutissement des efforts inlassables réalisés par deux pays pour arriver à ce but et a en outre bénéficié d’une conjoncture favorable. « La situation de la péninsule coréenne est certes plus complexe en raison des conflits d’intérêt qu’elle présente pour les grandes puissances, mais je n’en suis pas moins persuadé que les deux Corées sont en capacité de parvenir à leur tour à s’unir ».
S’il semble peu probable qu’elles puissent atteindre prochainement cet if, elles pourraient, dans l’intervalle, de l’avis d’Anton Scholz, opter pour le principe d’ « un pays, deux systèmes » adopté par la Chine continentale et Hongkong, entre autres modalités qui s’offrent à elles, l’exemple allemand ne représentant en aucun cas la seule voie possible.
À ce propos, il regrette que les Coréens ne se montrent pas toujours très réceptifs aux critiques : « Beaucoup estiment, bien souvent, que les étrangers ne parlent pas en connaissance de cause, ce qu’ils affirment à tort, n’étant guère disposés à entendre des points de vue différents », affirme Anton Scholz.
S’agissant d’éducation, il déplore certains des critères sur lesquels elle repose : « Elle privilégie une démarche trop quantitative qui étouffe l’esprit créatif des enfants ».
« Il suffit de se demander pourquoi la Corée ne compte aucun prix Nobel, hormis dans le domaine de la politique », rappelle-t-il, et d’ajouter : « Il faudrait laisser les enfants jouer davantage et les faire moins travailler. L’école devrait mettre l’accent plus sur les apprentissages concrets que sur la préparation aux concours ».
Trois décennies après son arrivée en Corée, Anton Scholz apprécie toujours autant sa deuxième patrie tout en ne s’interdisant pas de relever de nouveaux défis en frappant à d’autres portes, ce que seul l’avenir dira, comme il le souligne lui-même.