Après avoir accédé aux scènes britanniques et américaines au début du siècle, les comédies musicales coréennes ont conquis celles d’autres pays d’Asie il y a quelques années et, qu’il s’agisse des productions d’origine ou de réalisations sous licence, voire de coproductions recourant à des investissements étrangers, elles ne sauraient tarder à se hisser au rang des créations de la culture populaire coréenne dite hallyu.
Créée en 1995 à l’occasion du centième anniversaire de la mort de l’impératrice Myeongseong, la comédie musicale The Last Empress est une évocation historique à grand spectacle dont les superbes décors et costumes ont séduit un public international, bien qu’elle ait constitué la première production entièrement coréenne à avoir été représentée à l’étranger.
© ACOM
En dépit des incidences fâcheuses de la récession économique, l’industrie musicale coréenne a connu une expansion constante jusqu’à la survenue de la pandémie de Covid-19, époque à laquelle son chiffre d’affaires s’élevait à près de quatre cent milliards de wons, soit 316 millions de dollars, ses recettes provenant en permier lieu des comédies musicales et concerts. En moyenne, les premières auraient représenté à elles seules 55 à 60 % de ces ventes, puis 80 % en 2021.
Suite au prodigieux succès rencontré par le spectacle coréen The Phantom of the Opera en 2001, l’industrie musicale coréenne a réalisé une croissance annuelle ininterrompue comprise entre 15 et 17 %, mais, dernièrement, les entreprises de production nationales ont fait preuve d’un grand dynamisme dans le but de se ménager une place sur les marchés étrangers, tout en lançant des affaires à l’international, favorisant ainsi l’apparition de jeunes pousses inventives qui sont parvenues à d’excellents résultats en termes tant qualitatifs que quantitatifs.
L’irruption sur le marché mondial
C’est au début du millénaire que remonte la présence des productions coréennes à l’international, en parallèle avec la multiplication des comédies musicales sous licence à laquelle on assistait alors en Corée et qui allait susciter le désir d’égaler, voire de surpasser la valeur ajoutée de ce type de spectacles.
Dans un premier temps, les productions d’origine exclusivement coréenne allaient principalement cibler les scènes de Broadway et du West End londonien, puis s’étendre à des festivals des arts du spectacle tels que le célèbre Edinburgh Festival Fringe, la comédie musicale originale The Last Empress produite par ACOM et le spectacle non verbal NANTA se situant au tout début de ces représentations.
Après une tournée coréenne couronnée de succès en 1995, la première allait successivement être mise en scène en 1997 au New York State Theatre, l’actuel David H. Koch Theatre, et, en 1998, au Lincoln Center, puis, quatre ans plus tard, en version anglaise, au Hammersmith Apollo situé dans la banlieue de Londres. Cette œuvre bien de son temps par de nombreux aspects a révélé l’important potentiel commercial des productions coréennes, ainsi que les ingrédients du succès dans la pénétration des marchés étrangers, et donné ainsi des idées aux créateurs qui souhaitaient faire connaître leurs spectacles à l’étanger.
Un tournant allait intervenir deux décennies plus tard à destination des marchés d’Asie, où de remarquables percées ont notamment eu lieu au Japon et en Chine entre les années 2010 et 2015. Le premier de ces pays est en effet devenu le plus gros importateur de comédies musicales coréennes, dont plus de quarante sont restées à l’affiche trois années durant à partir de 2012. Cette création spécifiquement conçue pour le marché japonais a été favorisée par l’ouverture, en 2013, de l’Amuse Musical Theatre de Tokyo, une salle proposant exclusivement des comédies musicales coréennes.
La comédie musicale coréenne Finding Mr. Destiny allait voir son titre se transformer en Finding My First Love en Chine, où ses droits de représentation ont été acquis en 2013, ce qui fournit une bonne illustration de la capacité des productions coréennes à s’exporter.
© CJ ENM
Scène de la comédie musicale coréenne Finding Mr. Destiny.
© CJ ENM
De gauche à droite : affiches des représentations de Finding Mr. Destiny données à Taïwan, au Japon et en Chine.
© CJ ENM
Trois angles d’attaque
Les contenus musicaux coréens ont fait leur apparition dans l’industrie mondiale du spectacle au moyen des trois vecteurs de diffusion que sont les tournées de spectacles entièrement coréens, la production de pièces étrangères sous licence et la cession des droits de production de comédies musicales coréennes ou les coproductions faisant appel aux personnels et investissements des pays concernés. Dans le cadre d’une tournée, l’équipe de production coréenne travaille, pendant tout le temps imparti à celle-ci, sur la mise en scène du spectacle qu’interpréteront les comédiens coréens, dont les interventions font l’objet d’un sous-titrage en langue anglaise. La comédie musicale juke-box Run to You a remporté un franc succès auprès du public japonais lors de sa représentation à Osaka en 2012 et à Tokyo en 2014. Ce spectacle émaillé de chansons du groupe de hip-hop coréen DJ DOC créé en 1994 conte les débuts de ses trois jeunes chanteurs.
En Chine, suite à la tournée de représentations de la comédie musicale Subway Line 1 entreprise en 2001, les productions d’origine nationale sont allées croissant d’année en année, avec des spectacles tels que Ssanghwa byeolgok [Chant de deux fleurs], qui évoque la vie de deux illustres moines bouddhistes du royaume de Silla, à savoir Wonhyo (617-686) et Uisang (625-702). Représenté sur les scènes chinoises à l’occasion du vingtième anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques célébré en 2012, ce spectacle allait donner lieu, l’année suivante, à des tournées particulièrement réussies à Shenzhen, Hainan, Guangzhou et Pékin. En vue de son adaptation au public visé, il comportait des adaptations portant sur le nombre de personnages et les airs inspirés de chansons traditionnelles chinoises.
La comédie musicale Rimbaud qui, comme son nom l’indique, évoque la vie de ce grand poète, représente l’aboutissement d’une production sino-coréenne datant de 2018.
© LIVE Corp.
S’agissant des comédies musicales étrangères produites sous licence par la Corée, elles subissent les adaptations et traductions nécessaires en vue de leur exportation en version coréenne, des stars du hallyu apportant souvent leur concours à la promotion de ces spectacles. Au nombre des principales productions de ce type réalisées au début des années 2000, ont respectivement été présentées au Japon et en Chine Jack the Ripper, The Three Musketeers et Jekyll & Hyde, d’une part, ainsi que Notre-Dame de Paris et Elisabeth, d’autre part.
Enfin, une cession des droits de production de comédies musicales coréennes est intervenue dans le cas du spectacle Finding Mr. Destiny, cette toute première adaptation d’une œuvre de ce type au septième art. En Chine, elle allait prendre le nom de Finding My First Love et subir quelques adaptations de son intrigue en fonction des sensibilités et spécificités culturelles du pays. Le public s’est rendu en foule à sa première représentation donnée en 2013, ce qui démontre les possibilités de succès commercial offertes par ce type de spectacles d’envergure pourtant modeste. Depuis lors, nombre d’autres productions coréennes se sont engouffrées dans la brèche, à l’instar de Chonggakne Vegetable Store, My Bucket List et Vincent van Gogh.
Quant à la comédie musicale Rimbaud inspirée de la vie du célèbre poète, elle constitue l’aboutissement d’un projet réalisé en commun par des équipes coréennes et chinoises. Créée en 2018 pour les scènes japonaises et chinoises par la compagnie LIVE, qui est également à l’origine des spectacles Chonggakne Vegetable Store et My Bucket List joués à la même époque dans ces deux pays, elle a fait l’objet d’une cession de droits qui a permis sa représentation à Pékin avant même qu’elle n’ait eu lieu en Corée. Fruit d’une autre coproduction sino-coréenne, la comédie musicale Feast for the Princess a été proposée par l’entreprise commune United Asia Live Entertainment, qui réunit un grand groupe coréen du secteur, CJ ENM, et les services concernés du ministère chinois de la Culture. Il s’agit d’un conte où les plus grands cuisiniers du monde sont appelés à la cour et rivalisent de savoir-faire pour réveiller l’appétit qu’a perdu la princesse, cette évocation des merveilles de l’art culinaire chinois étant servie par une éblouissante chorégraphie alliée à des compositions musicales actuelles.
Réflexion sur le sens de l’existence, la comédie musicale My Bucket List a bénéficié d’une tournée de représentations dans pas moins de vingt-trois villes chinoises, ce qui constitue un record s’agissant d’une production sous licence coréenne mise en scène en Chine.
© LIVE Corp.
Les perspectives à long terme
En 2019, peu avant que ne se déclare la pandémie de Covid-19, la scène musicale coréenne allait subir les répercussions des tensions politiques qui régnaient dans le pays et dans le monde.
Envers et contre tout, l’industrie musicale coréenne est appelée à s’imposer en tant que nouvelle composante du hallyu dont la diffusion, comme celles des autres contenus culturels du pays couronnés par un succès mondial, bénéficiera des nouvelles possibilités offertes par les technologies de l’OSMU (usage multiple source unique). La question se pose aujourd’hui de savoir qui assurera cette évolution cruciale pour le secteur et au moyen de quelles créations.