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2019 SPRING

RUBRIQUE SPÉCIALE: Les prémices de la modernitéà l’aube du XXe siècle

La mondialisation culturelle, d’hier à aujourd’hui

Une centaine d’années après le traité de Ganghwa qu’elle conclut en 1876 avec le Japon et par lequel elle s’engageait à ouvrir ses portes aux autres pays, la Corée connaît un nouvel épanouissement par le biais d’une mondialisation dont elle tire parti cette fois-ci en sens inverse pour diffuser sa culture à l’étranger grâce aux technologies numériques.

Le 24 septembre dernier, le chanteur RM allait prononcer un discours, au nom de son groupe de musique BTS, à l’occasion du lancement de « Generation Unlimited », une nouvelle initiative mondiale de l’UNICEF destinée aux jeunes.© The ChosunIlbo

De toutes les productions qu’a générées la culture populaire coréenne l’année passée, celle qui a remporté le plus de succès est sans conteste la série télévisée Mr. Sunshine, dont l’action se déroule sous le royaume de Joseon dans ces premières années du XXe siècle où les navires américains, français et japonais avaient entrepris d’y accoster pour briser l’isolement de son territoire. L’évocation de cette page d’histoire a résonné avec d’autant plus d’émotion chez les téléspectateurs qu’elle révélait le combat mené par les uibyeong, ces « soldats de la justice » méconnus qui donnèrent leur vie pour repousser les envahisseurs étrangers. En arrière-plan de leur lutte, elle mettait en évidence les clivages sociaux créés par l’introduction de certains aspects de la culture occidentale de l’Ouest et l’évolution des mentalités qui en a résulté dans l’ensemble de la société.

Par son contenu, cette série télévisée tranchait donc sur les autres films et feuilletons consacrés à cette époque, qui en retiennent avant tout la résistance opposée aux incursions japonaises, par l’évocation de l’atmosphère des rues de la capitale, anciennement Hanyang et aujourd’hui Séoul, où s’alignaient hôtels de style occidental, boulangeries françaises, pubs et ateliers de couture japonais qui composaient le décor familier de la vie quotidienne.

Sur la trame de l’intrigue, se détache le personnage principal d’une noble dame au caractère bien trempé qui n’hésite pas à renoncer à sa condition pour suivre résolument la voie qu’elle s’est tracée en annulant ses fiançailles avec l’homme que lui a choisi sa famille, car elle s’est éprise d’un descendant d’esclaves nommé Eugene Choi, lequel a fui dans son jeune âge aux États-Unis dont il reviendra des dizaines d’années plus tard, revêtu de l’uniforme de la marine de ce pays. Après avoir appris le maniement des armes avec l’aide d’un modeste chasseur, elle se fait tireuse d’élite pour supprimer ceux qui collaborent avec l’occupant japonais. Par son caractère dynamique et indépendant, cette héroïne représente l’incarnation de toutes les femmes du « siècle des Lumières » coréens qui firent preuve de courage en prenant en main leur destin.

Scène de BTS World Tour : Love Yourself in Seoul, que présentaient simultanément 3 800 salles de 95 pays différents le 26 janvier dernier. Il s’agit du deuxième concert filmé du groupe BTS, le premier ayant été Burn the Stage: The Movie. © Big Hit Entertainment

Ce studio de photo de Sangyeok-dong, un quartier de la ville de Daegu, attire beaucoup de jeunes par ses photos à l’ancienne évoquant l’atmosphère qui régnait dans les derniers temps du royaume de Joseon, au tournant du siècle dernier.© Studio Sankyeok

Une création très actuelle sur le fond
Mr. Sunshine s’avère aussi emblématique de la plupart des productions culturelles contemporaines, dont la teneur est marquée par le changement de paradigme qu’ont entraîné la mondialisation culturelle et l’essor des réseaux de communication numériques. Le tournage intégral de la série a exigé un budget de 43 milliards de wons, soit près de 39 millions de dollars, et s’est achevé avant même que n’ait été diffusé son premier épisode, ce qui aurait paru inconcevable dans le mode de production classique des feuilletons télévisés coréens, mais que le partenariat avec Netflix a rendu possible dans la mesure où ce dernier a pris en charge 70% du coût total de la production. Par ailleurs, en assurant la diffusion simultanée de cette série dans plusieurs pays étrangers, le géant mondial de la fourniture de services multimédia a aussi bouleversé les canaux habituels de consommaton des séries télévisées coréennes.

L’industrie coréenne des contenus culturels se trouve ainsi à une étape décisive de son évolution du fait des possibilités toujours plus nombreuses qui s’offrent dès lors aux téléspectateurs d’accéder à l’information et de la partager en temps réel sur des plateformes mondiales telles que Netflix ou YouTube. Face à la perspective imminente d’une « nouvelle mondialisation », le secteur coréen des médias et des loisirs est confronté à l’alternative de la poursuite de son expansion à l’international ou du confinement de son champ d’action au marché intérieur.

Dans ce contexte, l’époque à laquelle se déroule Mr. Sunshine revêt un sens particulier, car, en ces premières années du XXe siècle qui furent décisives pour l’histoire nationale, se manifestait une aspiration aux idéaux de liberté, de paix et d’amour dont cette production se fait l’écho et à laquelle sont sensibles les téléspectateurs contemporains de toute origine nationale ou ethnique.

Marquée par un afflux de cultures étrangères qui remettaient en question les traditions, ce moment exceptionnel de l’histoire coréenne fournit une intéressante toile de fond sur laquelle les réalisateurs peuvent laisser libre cours à leur imagination, à l’instar de Kim Jee-woon, qui situe à cette même époque l’action de son film Le bon, la brute et le cinglé. Les innovations qu’il met en œuvre dans ce western à la coréenne témoignent de la diversité des apports culturels qui caractérisèrent cette époque et confèrent d’autant plus d’intérêt à ce simple divertissement.

Une norme mondiale en pleine évolution
Le succès phénoménal rencontré par le groupe musical Bangtan Boys, aussi connu par son sigle BTS, atteste brillamment de la « seconde éclosion » culturelle que connaît aujourd’hui la Corée. Au moyen de plateformes multimédia telles que YouTube, ses membres peuvent échanger avec leurs fans du monde entier dont le club nommé BTS ARMY a pris beaucoup d’ampleur par-delà les frontières et la barrière de la langue. Leur talent pour la danse et la musique, ces formes d’ communes à toute l’humanité, a constitué le facteur clé de leur accession à une carrière internationale.

Il convient toutefois de souligner qu’au Japon, ils se sont heurtés dans leur ascension à certaines réticences qui semblent d’un autre temps, notamment lorsque l’un d’eux, Jimin, a fait l’objet de critiques émanant d’éléments conservateurs pour avoir arboré un t-shirt représentant l’explosion de la bombe atomique larguée par les États-Unis sur le Japon. Sa photo allait aussitôt circuler en boucle sur les réseaux sociaux et faire polémique jusqu’à ce que l’agent artistique du groupe présente ses excuses au public. Outre le manque de discernement manifesté par la jeune star dans ses choix vestimentaires, cet incident a traduit l’apparition d’un nouveau paradigme de la consommation culturelle à l’ère du réseau de communication mondial, puisque la droite japonaise a exigé le boycott de tous les groupes de musique coréens à succès par les principales émissions de variétés japonaises, cette réaction semblant des plus déplacées à l’heure où les réseaux sociaux permettent d’exprimer instantanément ses opinions.

Par ailleurs, cette anecdote révèle qu’à l’heure où la Corée connaît une renaissance culturelle, la diffusion des contenus correspondants doit obéir à une nouvelle norme mondiale qui étende son effet contraignant à tous les pays et toutes les régions. À l’heure où se développent les échanges culturels à l’échelle internationale, les peuples du monde se doivent de préserver les valeurs universelles de la liberté, de la paix et du vivre ensemble qui s’opposent à celles de la rivalité et du conflit.

Affiche de Mr. Sunshine, l’une des séries télévisées les plus vues en 2018. Cette production met à l’honneur les inconnus de l’« armée vertueuse » qui combatt it pour l’Empire de Corée, notamment par le biais de personnages de femmes libres et courageuses. Elle fait en même temps revivre l’apparition dans la capitale des premiers hôtels, couturiers, boulangeries et autres commerces modernes de style occidental. © Studio Dragon

De nouveaux défis
Le film Bohemian Rhapsody, qui évoque le succès du groupe de rock britannique Queen et la vie de son chanteur Freddie Mercury, fournit aussi une bonne illustration des mutations intervenant dans le paysage culturel et des modes de consommation correspondants du fait de l’évolution des technologies numériques. Mieux accueilli encore en Corée qu’au pays de ses protagonistes, il y est arrivé en tête du box-office et les ventes de places se sont multipliées dans les salles où les spectateurs avaient la possibilité de danser et chanter tout en le regardant.

Aujourd’hui, les consommateurs enrichissent les produits culturels de leurs réactions aux créations d’origine et, de même que les concerts de BTS ne seraient pas ce qu’ils sont sans les danses et chants repris à l’unisson par la BTS Army, l’émotion exprimée par les spectateurs de Bohemian Rhapsody a contribué à sa réussite. En s’exprimant face aux produits culturels qu’il consomme, le public de tout pays et de toute langue leur confère ainsi un supplément de sens.

Par ailleurs, la multiplication des plateformes numériques incite toujours plus de vedettes de télévision à se lancer en parallèle dans la carrière de radiodiffuseur personnel. Sur YouTube, de célèbres créateurs de contenus tels que Buzzbean, Banzz ou Ssin dépassent désormais les personnalités du petit écran en influence et en notoriété. Une fois parvenus à cette étape, ils se hasardent à tenter leur chance sur les chaînes de télévision, dans le cadre de publicités ou d’émissions de variétés, le mouvement inverse qui s’opère aussi de plus en plus à destination de la radiodiffusion personnelle témoignant d’une « passation de pouvoir » entre anciens et nouveaux médias.

L’essor des réseaux de communication mondiaux qu’autorisent les technologies numériques a favorisé une renaissance de la culture coréenne à l’échelle mondiale.

Dès lors, pour définir les orientations à suivre, il suffit de se souvenir de ce qu’était notre royaume de Joseon au début du siècle dernier. Il sut ouvrir ses portes pour se tourner résolument vers l’extérieur, de sorte qu’en empruntant cette voie toute tracée, le pays se doit désormais de rechercher les moyens de préserver sa culture tout en se joignant au reste de l’humanité dans sa quête de valeurs universelles.

Jung Duk-hyunCritique de culture populaire

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