Le quartier de Seongsu-dong offre un excellent exemple de rénovation urbaine respectueuse de l’héritage architectural, avec ses immeubles en brique rouge situés en son centre, mais aussi nombre d’usines et d’habitations qui rappellent les heures de gloire de cet ancien foyer d’industries légères : autant d’éléments constitutifs de l’originale esthétique des lieux.
Le duo que forment les designers Kim Dong-gyu et Kim Seong-jo sous le nom de Fabrikr propose une nouvelle lecture des matériaux en fonction du lieu de leur emploi, comme dans ce Café Onion Seongsu dont ils ont adapté le bâtiment au cadre extérieur en conservant son aspect ancien.
© Heo Dong-wuk
Ancien centre important d’industries, Seongsu-dong a accompli une évolution qui en fait aujourd’hui l’un des lieux les plus animés de la capitale par sa vie culturelle. Les files d’attente s’allongent à l’entrée de ses cafés et restaurants très tendance, tandis que boutiques éphémères et marques mondiales du luxe attirent un public jeune et branché. Dans le domaine des arts, l’atmosphère des lieux a favorisé l’essor d’une contre-culture pleine de vitalité.
Entre leurs constructions en brique d’autrefois et les tours d’acier et de verre qui ont envahi d’autres quartiers, le contraste est saisissant. En se succédant les unes aux autres sans discontinuité, elles forment comme un long mur rouge dont l’aspect particulier fait le charme de ce quartier.
C’est en effet la brique rouge qui compose ici plus d’un tiers des façades et s’avère beaucoup plus présente que dans d’autres quartiers de Séoul, une particularité qui s’explique par le classement de Seongsu-dong en zone semi-industrielle stipulé par la loi sur l’urbanisme de 1962.
Au cours de la décennie suivante, Seongsu-dong allait affirmer sa vocation en devenant un centre de l’industrie légère qui allait rassembler une multitude de petites entreprises, ainsi que des usines et entrepôts dont les bâtiments en brique ont donné son caractère au quartier. Dans les années 1980 et 1990, l’accroissement démographique allait entraîner la multiplication des petites habitations construites elles aussi le plus souvent en brique, un matériau privilégié en raison de sa résistance au feu et aux intempéries, ainsi que de sa facilité de production, de transport et de mise en œuvre.
La défense des charmes d’un patrimoine
À l’aube du nouveau millénaire, s’amorcera pour le quartier de Seongsu-dong une métamorphose imposée par le déclin du secteur manufacturier, lequel découle lui-même de l’évolution de l’outil industriel à l’échelle de tout le pays. Dans nombre d’usines et d’entrepôts désormais désaffectés, quelques rénovations suffiront à convertir le surplus de place ainsi disponible en studios de photographie ou showrooms de créateurs qui conféreront une nouvelle image au quartier. Seongsu-dong, de l’ancienne zone semi-industrielle en déclin qu’il était devenu, se transformera alors en un foyer d’art et de culture attirant un public jeune et inventif.
Si de telles reconversions s’accompagnent en général d’une démolition des constructions antérieures susceptible d’uniformiser le paysage urbain, il en est allé autrement de celle de Seongsu-dong grâce à l’action des pouvoirs publics en faveur de la défense de son patrimoine industriel et architectural.
L’immeuble commercial Seongsu WAVE a succédé à une résidence multi-logements que le cabinet JYA-RCHITECTS a convertie en redéfinissant les espaces, notamment par le recours aux lignes courbes qui semblent faire ondoyer la façade comme une vague. Cette particularité de conception crée un effet d’ouverture tout en se conformant à l’identité et au caractère du quartier.
© Hwang Hyochel
En 2017, les services municipaux du quartier de Seongdong allaient adopter un arrêté portant sur la protection et l’entretien de ses constructions caractéristiques, ce qui témoignait d’une autre manière de voir dans le domaine de la rénovation urbaine. Cette conception nouvelle se traduisait par une politique visant à préserver et mettre en valeur le caractère historique et l’esthétique architecturale de Seongsu-dong en conservant les matériaux de construction et l’aspect extérieur de ses bâtiments.
La création d’un lieu de vie culturelle
Situé dans une rue de Seongsu-dong où s’alignent aujourd’hui nombre d’établissements de ce type, le café-galerie Daelim Changgo a joué un rôle clé dans la reconversion culturelle du quartier. Il occupe les locaux d’une ancienne rizerie exploitée dans les années 1970, à laquelle allait succéder un entrepôt où, vers la fin des années 2000, le photographe Hyeong-Jun An allait aménager son studio. Il allait se faire rapidement un nom grâce au bouche-à-oreille et, dès 2011, d’importants défilés de mode, concerts de rock et expositions n’ont cessé d’accroître cette notoriété.
Au gré d’une flânerie dans le quartier, on découvrira d’autres exemples non moins intéressants de constructions anciennes qui connaissent une nouvelle vie, tel le Café Onion Seongsu, qui a ouvert ses portes en 2016. Il prend place dans un bâtiment d’une cinquantaine d’années qui a successivement abrité un supermarché, un restaurant, une résidence privée, un atelier de réparation et une usine.
Le café-galerie Daelim Changgo occupe un bâtiment qui abrita pendant plus de trente ans une rizerie, puis un entrepôt, et dont l’enveloppe a été laissée telle quelle, tandis que l’intérieur subissait une véritable métamorphose. Lieu emblématique de la rénovation urbaine dont a fait l’objet le quartier de Seongsu-dong, il en est l’une des curiosités les plus facilement reconnaissables.
© Lee Min-hee
Quant à l’espace multifonctionnel LCDC SEOUL, qui se consacre à la vente de détail d’articles de marques connues ou moins connues, il a succédé à un atelier de réparation automobile et à un fabricant de chaussures. La rénovation et l’agrandissement de ses locaux d’une superficie de 500 pyeong, soit environ 1 650 mètres carrés, ont été réalisés au même moment. Interrogés sur la manière dont ils ont procédé pour préserver l’intégrité de la construction lors de ces travaux simultanés, les architectes Chi Hoon Lee et Yerin Kang ont déclaré en avoir conservé l’enveloppe extérieure en brique et élevé un mur supplémentaire, en béton cette fois, dans le prolongement de celui d’origine afin de créer un contraste visuel entre eux, ainsi qu’un effet de superposition.
L’immeuble Seongsu Silo, également connu sous le nom de Seoul Urban Manufacturing Hub, se distingue aussi par son caractère emblématique du quartier. C’est l’aboutissement d’un chantier, attribué à l’issue d’un concours d’architecture, qui avait débuté en 2018 et s’est achevé l’année dernière. Conformément à l’appel à candidatures, les constructeurs devaient s’attacher à effectuer la rénovation dans le style propre à la région, c’est-à-dire à base de brique, ce qui allait être réalisé dans certaines parties de l’ancien bâtiment industriel, notamment sa façade composée de ce matériau. Destiné à accueillir un nouveau type de production, le bâtiment résultant a été pourvu de cylindres en verre sur sa façade, tandis que toute sa partie arrière se compose de brique, un effet d’ensemble tout à la fois ouvert et indépendant ayant ainsi été créé au sein de cette construction. Par sa présence tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, la brique rouge assure la continuité visuelle des lieux.
L’immeuble Shoes Silo se distingue par l’impression d’ouverture sur l’extérieur et d’indépendance que crée tout à la fois son originale façade alliant le verre à la brique. C’est dans une usine désaffectée que la Society of Architecture (SoA) a aménagé cet espace multifonctionnel où se côtoient en toute harmonie des activités de production, de planification, de distribution, de marketing et de consommation. Ses concepteurs ont veillé y reprendre le matériau caractéristique du quartier de Seongsu-dong où il se trouve, à savoir la brique rouge.
© SoA ; Photographie de Kyungsub Shin
De nouvelles perspectives
Matériau de prédilection de nombreux chantiers réalisés dans le quartier de Seongsu-dong, la brique est aussi celui de la Thought Factory, ce centre des industries de la connaissance qui, depuis 2021, occupe les 20 000 pyeong, soit plus de 66 000 mètres carrés, d’un bâtiment reconverti. À ses étages inférieurs destinés à des bureaux comme dans l’ensemble de sa partie commerciale, celui-ci arbore une finition en brique rouge qui constitue un trait d’union entre eux, tandis qu’à l’intérieur, s’élève sur deux niveaux un imposant mur alliant brique et verre pour symboliser la transition entre tradition et modernité.
De telles réalisations recourant à la brique dans des bâtiments mettant en œuvre des conceptions et stratégies différentes selon qu’ils sont destinés à des commerces, bureaux ou espaces publics, ont contribué dans une large mesure à la bonne reconversion du quartier de Seongsu-dong en assurant une continuité physique entre passé et présent. Révélateurs du respect qu’éprouvent les architectes pour le passé historique de la ville, ils ont su préserver le langage spécifique du paysage urbain. Cependant, comme le soulignent David Leatherbarrow et Mohsen Mostafavi dans leur ouvrage Surface Architecture, il peut arriver qu’une fidélité à l’histoire inspirée par la nostalgie occulte les perspectives d’innovation qu’offrent de nouvelles approches tirant parti des matériaux et procédés de construction modernes. Ce point de vue démontre à quel point il importe de ne jamais cesser de s’intéresser à leurs évolutions, notamment, dans le cas présent, pour permettre au quartier de Seongsu-dong d’aspirer à un modèle plus durable de rénovation urbaine sans se limiter à ses aspects superficiels.
Intérieur de l’immeuble Seongsu NakNak. Pour assurer une continuité visuelle entre cet immeuble commercial et les deux tours de bureaux qui composent le centre des industries de la connaissance dit Thought Factory, le cabinet de design et d’architecture dmp a recouru à la brique rouge pour l’habillage du premier et des étages inférieurs des secondes.
© Yoon Joon-hwan