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2022 WINTER

À tous les Chun Tae-il d’aujourd’hui

Le film d’animation biographique intitulé Chun Tae-il: A Flame that Lives On (Chun Tae-il : une flamme qui continue de vivre) retrace la vie d’un militant de vingt-deux ans qui a fait le sacrifice de sa personne pour défendre les intérêts communs des travailleurs et, si les conditions dans lesquelles ceux-ci étaient alors employés ont considérablement évolué, le public reste sensible au thème des discriminations et autres inégalités abordé dans cette œuvre.

Basé sur des faits réels, le film d’animation Chun Tae-il: A Flame that Lives on (2021) évoque le personnage de ce jeune ouvrier d’un atelier qui sacrifia sa vie pour améliorer les conditions de travail de ses collègues et faire réformer le droit du travail.
© MYUNGFILMS



Dans les années 1960 et 1970, la Corée a réalisé un développement économique qui lui a permis d’échapper à sa condition de pays pauvre, mais a reposé sur l’exploitation des classes laborieuses. La législation du travail qui se mettait en place ne parvenait pas jusque dans les ateliers où trimaient les ouvriers, car l’objectif de la croissance demeurait un impératif.
Salué à trois reprises lors de manifestations qui avaient lieu cette année, à savoir le 46e Festival international du film d’animation d’Annecy, le 26e Festival international de films Fantasia et le 18e Seoul Indie-AniFest, le film Chun Tae-il: A Flame that Lives on y a respectivement été récompensé par le prix Contrechamp, le Prix du public, ou Prix de bronze, et le Grand prix : autant de distinctions révélatrices de l’enthousiasme suscité par le portrait qu’il brosse d’un jeune homme élevé au rang de martyr du mouvement ouvrier coréen.

 

Outre qu’il se penche sur la place qu’occupe Chun Tae-il dans l’histoire en tant que martyr de la lutte contre les conditions de travail inhumaines et les maigres rémunérations auxquelles étaient soumis les travailleurs des ateliers de misère, le film revient sur son enfance, puis sur les espoirs et rêves que fit naître en lui son premier amour.
© MYUNGFILMS

Les ateliers de misère
À la fin des années 1960, à Séoul, le marché de Pyeonghwa situé dans le quartier de Cheonggyecheon regorgeait d’ateliers de couture où travaillaient dans des locaux exigus et peu aérés des ouvrières encore adolescentes qui restaient courbées sur leur machine quatorze à quinze heures par jour sans même pouvoir s’interrompre pour aller aux toilettes.
Cette main-d’œuvre était en outre exposée à certaines maladies, notamment des affections pulmonaires provoquées par la poussière soulevée par les machines, mais n’avaient pas pour autant le droit de se reposer un seul jour au risque de se voir licencier sur-le-champ. Telles étaient les conditions dans lesquelles il fallait travailler sans relâche pour un salaire de misère qui permettait à peine de se nourrir.
Né dans une famille pauvre de Daegu, Chun Tae-il sera contraint très tôt d’arrêter l’école pour subvenir aux besoins de sa famille, puis il partira effectuer son apprentissage de tailleur dans un atelier de Séoul où il aura l’occasion de mettre en pratique ce qu’il avait appris chez lui. Considérant les jeunes couturières comme ses sœurs, il veillera sur elles et ira jusqu’à revendre ses tickets d’autobus pour leur acheter du pain à bas prix. Un beau jour, navré de voir les conditions dans lesquelles travaillent ses collègues, il les appellera à se réunir au sein d’un rassemblement de travailleurs dans le cadre duquel il les informera sur leurs droits et n’aura de cesse de tout faire pour tirer les fonctionnaires de leur léthargie et les engager à s’assurer de l’application de la réglementation sur les conditions de travail.
Lors de chacune des manifestations de ce groupe, la police procédera à sa dispersion, puis viendra ce 13 novembre 1970 où un second cortège auquel s’est joint Chun Tae-il s’ébranle en direction du marché de Pyeonghwa. Brandissant un exemplaire du code du travail, le jeune homme lance une dernière fois : « Respectez la loi sur les conditions de travail ! Nous ne sommes pas des machines ! » avant de s’immoler par le feu. Transporté en urgence vers un hôpital, il succombera à ses terribles brûlures, non sans avoir eu la force de lancer : « Que ma mort ne soit pas vaine ! »

Un récit bien construit
Dans son film d’animation, le réalisateur Hong Jun-pyo a souhaité s’inscrire en rupture avec l’image du martyr d’ordinaire associée à Chun Tae-il en s’abstenant d’employer l’orthographe habituelle de son patronyme et de le présenter comme un héros sans faille.
Son film d’animation montre un jeune homme comme les autres dont les émois amoureux sont discrètement évoqués en s’inspirant des sentiments qu’il exprimait en 1967 dans son journal intime conservé encore à ce jour. Épris de la belle-sœur de son patron, il perd tout espoir en constatant qu’elle ne partage guère ses sentiments. En outre, il ne tarde pas à comprendre que l’antipathie qu’éprouve cet entrepreneur à son égard peut lui nuire dans l’atelier de couture fortement hiérarchisé où il exerce son emploi. La décision qu’il prend alors résulte d’une découverte des dures réalités qu’il lui faut affronter et constitue un moment charnière où sa conscience de classe s’ancre plus profondément en lui, l’éloignant définitivement de toute préoccupation purement personnelle, comme s’emploie à le souligner le film.
L’évolution de sa réflexion qu’engendre la révélation de ces clivages sociaux y est particulièrement bien décrite, comme dans cette scène où, hébergé une nuit par son patron, il ne peut que remarquer ce parfum de savonnette différent de ceux auxquels il est habitué. Dans le film à succès Parasite dû au réalisateur Bong Joon-ho, on retrouve ce recours à l’odeur en tant que symbole des différences sociales dont le public d’aujourd’hui a conscience face aux disparités régnant dans la société.

Un présent pas si différent du passé
Loin de passer sous silence les événements qui se sont produits voilà plusieurs décennies, le film Chun Tae-il: A Flame that Lives on a su en retenir les éléments les plus pertinents pour les replacer dans le contexte actuel. Il évoque notamment les conflits que suscitèrent les écarts de salaire et l’exploitation des travailleurs voilà six décennies dans le quartier de la confection de Séoul, tout en se plaçant non plus du point de vue des relations entre patronat et ouvriers, mais des tensions qui opposaient ces derniers entre eux.
Les entrepreneurs avaient eux-mêmes provoqué cette situation en imposant une hiérarchie rigide au sommet de laquelle se trouvaient les tailleurs et aides-tailleurs, suivis des couturières et aides-couturières, chacun de ces sous-groupes étant placé sous la surveillance d’un autre travailleur, et non d’un représentant de la direction. Afin de s’épargner tout affrontement direct avec les ouvriers, cette dernière s’abstenait de prendre une quelconque décision de licenciement et confiait cette tâche au tailleur, lequel exerçait aussi son autorité en matière de salaires.
On retrouve une façon de procéder comparable dans le monde du travail actuel, où les décideurs en dernier ressort évitent tout conflit en déléguant certaines responsabilités à des cadres moyens, s’efforçant ainsi d’occulter les sources de conflit. De telles méthodes peuvent consister à évacuer la question du salaire minimum en invoquant les différences entre travailleurs franchisés et à temps partiel, ce qui permet aux grands patrons de faire l’économie de discussions avec les partenaires sociaux.
Si Chun Tae-il: A Flame that Lives on se déroule à une autre époque, le public d’aujourd’hui n’est pas pour autant insensible à sa manière de traiter de la fracture sociale. Dans un pays où sous-traitance, voire sous-sous-traitance, sont désormais monnaie courante, on assiste toujours plus à l’apparition d’une nouvelle catégorie de travailleurs peu rémunérés et dépourvus de toute protection sociale.
Cette évolution du monde moderne ne se cantonne pas à la Corée, comme en témoignent les films Two Days, One Night, des frères Dardenne, Sorry We Missed You, de Ken Loach, ou encore Full Time d’Eric Gravel, l’une des œuvres les plus remarquées de l’année. Partout, la précarité du travail qu’engendre la mondialisation de l’économie débouche sur des situations nouvelles et conflits inédits entre travailleurs qui permettent aux plus puissants de se dégager de toute responsabilité et de faire accepter un sort toujours plus difficile aux populations défavorisées.
Chun Tae-il: A Flame that Lives on mérite de figurer parmi les chefs-d’œuvre du septième art par son traitement efficace de la situation complexe qui perdure dans le monde du travail depuis plus d’un demi-siècle.
Évitant de s’attarder sur la scène de l’immolation qui survient un peu avant la fin du film, la caméra s’attache à montrer les réactions de surprise des collègues et passants, dont l’expression du visage pourrait être la nôtre et nous interpelle sur plusieurs questions. Qui est à l’origine des tensions sociales auxquelles on assiste aujourd’hui ? D’où provient le mal-être social ? Quelles catastrophes a-t-il engendrées et quelles mesures prend-on pour y remédier ? Autant d’interrogations dont Chun Tae-il: A Flame that Lives on propose de chercher les réponses en commençant par se livrer à une introspection.

 

Song Hyeong-guk Critique de cinéma

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