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On the Road

2016 SUMMER

LA VIE

ESCAPADE Mokpo, une ville au quotidien plein de poésie

Port stratégique pour le Japon à l’époque coloniale, Mokpo garde les blessures de l’histoire récente du pays et occupe une place à part dans le coeur de beaucoup de Coréens. Au sommet du mont Yudal, une colline de 228 mètres d’altitude aux pittoresques formations rocheuses, le promeneur dispose d’un point de vue sur tout le centre de cette agglomération où règne encore l’atmosphère d’antan et par-delà, sur la mer aux reflets chatoyants.

Le train de Mokpo file dans la nuit. À la fenêtre, des villages défilent à toute vitesse et leurs lumières brouillées par les gouttes de pluie font penser à des fleurs bleuâtres. Quoi de plus mélancolique, mais, en même temps, d’une beauté presque mystique, que ces lueurs de villages ?

Une nuit dans le train
J’ai pris le train pour la première fois à l’âge de huit ans et, bien que de courte durée, le trajet m’a fait découvrir la beauté des lumières de villages qui brillent dans la nuit et l’atmosphère chaleureuse qu’elles créent. Plus tard, ce sont elles qui m’ont donné l’envie de poursuivre mes errances à travers le monde.
Mon père vagabondait et ne rentrait de ses voyages qu’une fois par saison, mais je me réjouissais de son retour, car il était synonyme de cadeaux, telle fois dix-huit crayons de couleur, telle autre un livre d’images ou une pleine boîte de bonbons. Malheureusement, de terribles disputes éclataient toujours entre lui et ma mère. Un jour, je suis même parti à pied pour y échapper et j’ai marché jusqu’à un village. C’était au coucher du soleil et je voyais briller les lumières dans le soir qui tombait.
Je les regardais et sentais un filet d’eau couler doucement de mon coeur d’enfant, quand quelqu’un m’a interpellé : « D’où vienstu ? » C’était un homme à vélo et il m’a offert l’hospitalité. Curieusement, sa maison était pleine de livres d’images, alors cette nuitlà, j’en ai lu je ne sais combien. Le lendemain matin, j’ai eu l’occasion de découvrir les lieux : une maison à toit de tuiles avec un jardin et des plates-bandes. Des fraises poussaient partout au pied des murs qui l’entouraient. L’homme arrosait ses fleurs et un petit arc-en-ciel s’était formé dans l’eau qui giclait, puis retombait, molle comme des nouilles.

Les larmes de Mokpo, la chanson qui a fait connaître Lee Nan-yeong en 1935, a parlé au coeur de ses compatriotes qui souffraient de l’occupation japonaise. Ce seul titre lui a valu leur affection d’un bout à l’autre du territoire. Ici, la pochette de l’album de compilation Les plus grands succès de Lee Nanyeong édité en 1971.

Les larmes de Mokpo
Mokpo est une ville de 240 000 âmes qui se trouve à l’extrémité sud-ouest de la péninsule coréenne, alors quand la Corée a ouvert ses ports au commerce extérieur en 1897, le Japon n’a pas tardé à comprendre tout le parti qu’il pouvait tirer de cette situation idéale donnant accès aux greniers à riz de la Corée que sont les deux provinces de Jeolla. Dès l’annexion du pays, en 1910, il s’est donc empressé de faire de cette ville un important noeud routier et ferroviaire. La Route Nationale n°1, qui reliait par Séoul les régions situées au sud de Mokpo à Sinuiju, une ville du nord du pays, et la Route Nationale n°2, qui rallait d’est en ouest de Busan à Mokpo, constituaient, avec les lignes de chemin de fer, d’importantes liaisons pour les exportations de denrées coréennes au Japon. Mokpo fut particulièrement touchée par le pillage systématique du pays auquel se livra le Japon sous l’occupation (1910–1945). Dans ce passage, le poète Kim Seon-wu pleure sur les souffrances que l’histoire infligea à cette ville : Tout comme la figurine ne connaît pas la douleur, Même quand des dizaines d’aiguilles lui transpercent le coeur, Incapable de verser une goutte de sang pour se soulager, Elle patauge dans le port de Mokpo.
Plutôt qu’avoir mal et être incapable d’aimer quiconque, Aimer passionnément quitte à être abandonné, Le dernier bateau qui vient de partir entre dans mon corps.
– Extrait de Le port de Mokpo

« Avoir mal et être incapable d’aimer quiconque » : ces mots résument à eux seuls le destin tragique que connut Mokpo à l’époque coloniale et qui inspira fatalement bien des complaintes sur la triste condition des hommes. Leurs chanteurs incarnaient l’âme de la ville, à l’instar de Lee Nan-yeong (1916–1965), qui y naquit et se fit connaître en 1935 par sa chanson Les larmes de Mokpo. Pour les Coréens, ses accents déchirants résonnaient avec particulièrement de force, car elle exprimait les regrets et la douleur d’avoir perdu leur pays. Dans cette magnifique chanson accompagnée à l’accordéon et interprétée par une jeune fille de dixneuf ans qui y disait affectueusement son chagrin d’une voix nasale, les Coréens voyaient une évocation du triste destin de leur pays entraîné dans la danse macabre de l’histoire. Les larmes de Mokpo reprend comme en écho le han éternel, ce sentiment de regret chanté par le pansori traditionnel.

Quand le chant du batelier vacille Et s’enfonce profondément dans les vagues de l’île de Samhak,
Le bout de la manche de la nouvelle mariée est mouillé De ses larmes d’adieu, de celles de Mokpo.
– Extrait de Les larmes de Mokpo

Le Musée d’histoire moderne de Mokpo se situe à l’emplacement de l’ancien comptoir de la Compagnie des colonies orientales. Dans les rues adjacentes, subsistent des traces du rôle stratégique que joua le port de Mokpo dans l’exploitation par le Japon de sa colonie de Corée.

« Aimer passionnément et mourir heureux » : voilà une existence que ne pouvait connaître un peuple déchu de sa souveraineté et dont il ne pouvait pas même rêver. Pour la jeune femme qui se tient sur le quai, la séparation est triste et cruelle. Quand se reverront-ils ? Elle est très loin du nouveau monde dont elle rêvait et ses manches sont humides de ses pleurs.
Pour les gens de Mokpo, Lee Nan-yeong est un peu l’Édith Piaf coréenne (1915-1963). Elle a vécu à son époque et s’est lancée dans la chanson à peu près au même moment, mais surtout, elle a été un modèle de courage et une source d’inspiration pour ses chers compatriotes. À La Vie en Rose et Hymne à l’amour qui sont les grands succès de l’une, font pendant chez l’autre Les larmes de Mokpo et Mokpo est un port, également célèbres. Un monument à la mémoire de Lee Nan-yeong s’élève au flanc du mont Yudal.

La tombe de la chanteuse Lee Nan-yeong au pied d’un myrte de crêpe du Parc Lee Nan-yeong, à Samhakdo.

Une nuit d’été sur la place de la Paix
Les ports se situant toujours à la fin des terres, ils représentent, pour certains, l’espoir d’un nouveau départ. Aujourd’hui, celui de Mokpo peut enfin faire rêver grâce à une évolution de son histoire qui l’éloigne de son passé de ville écrasée et amère.
En Corée, nul n’ignore qui est Kim Dae-jung (1924– 2009). Né dans une famille de métayers de l’île de Hauido située au large de Mokpo, cet homme politique figure parmi les plus illustres victimes de la répression des dictatures du siècle dernier, puisqu’il a été emprisonné six fois, placé en résidence surveillée 55 fois et réfugié à l’étranger pendant dix ans. Lors de sa condamnation à la peine capitale prononcée en 1980, le régime militaire qui venait d’arriver au pouvoir s’est toutefois engagé à le gracier s’il acceptait de collaborer, ce à quoi il aurait répondu : « J’ai certes peur de la mort, mais si je fais ce compromis pour y échapper aujourd’hui, je cesserai à jamais d’exister dans l’histoire et le coeur de mes compatriotes. En revanche, si je meurs maintenant, je serai à jamais présent dans l’histoire et parmi mes concitoyens ». Cette déclaration témoignant d’une volonté inflexible jusque devant la mort est restée dans tous les esprits. En 1997, l’ancien opposant allait être appelé aux plus hautes fonctions de l’État, puis se voir récompenser de son action en faveur de la réconciliation intercoréenne par l’attribution du Prix Nobel de la Paix. Le musée consacré à cet événement retrace la vie de Kim Dae-jung, la douloureuse épopée de ses combats et ses réalisations exceptionnelles. Il se situe sur l’ancienne île de Samhakdo aujourd’hui rattachée au continent.
À Hadang, la nuit est on ne peut plus fraîche sur la place de la Paix.

Enfants chevauchant de petites voitures, jeunes couples se prenant en photo, marchands de barbe à papa multicolore, clients patientant devant l’étal d’un marchand d’en-cas, vendeurs de fleurs, promeneurs déambulant ou s’arrêtant pour bavarder sur la jetée, pêcheurs surveillant leur ligne dans le clapotis des vagues : tout Mokpo semble s’être donné rendez-vous ici. Mais voilà que jaillissent les mille lumières de la fontaine dansante. Au beau milieu du port, ses grands jets d’eau montent et redescendent au gré de la musique. Quand la solitude se fait trop pesante, il suffit de sauter dans un train de nuit pour Mokpo et, à l’arrivée, le lendemain matin, de se mêler à la foule de la Place de la Paix pour s’imprégner de ses bruits pleins de chaleur humaine qui réchauffent le coeur.
Ma flânerie sur cette place animée me remémore l’époque de Lee Nan-yeong et de Kim Dae-jung, ce bon vieux temps dont doivent avoir la nostalgie ceux qui se retrouvent sur cette place du front de mer où retentit le bruit des vagues, parce qu’ils n’ont plus où se loger et en sont réduits à errer depuis qu’ils ont quitté leur région natale. Cette paix dont rêvait tant l’homme politique, digne jusqu’à la dernière extrémité, régnait à l’endroit même où je me trouvais et sentais cette odeur de l’humain qui surmonte son désarroi et sa souffrance pour lutter et atteindre son but. Par cette belle nuit d’été, les étoiles inondaient le ciel de Mokpo de leurs lueurs.

Le Village culturel de Gatbawi
Cette localité dont le nom signifie « rocher du chapeau » donne aux nouveaux venus le goût de la randonnée pédestre. Ce lieu d’art et de culture réunit quantité de musées, monuments commémoratifs et galeries d’art, dont le Musée d’histoire naturelle de Mokpo, le Musée de céramique de Mokpo, l’Institut national du patrimoine culturel maritime et son Musée maritime national, le Pavillon de la littérature de Mokpo, le Musée de Namnong, le Centre d’art et de culture de Mokpo et le Centre du patrimoine culturel immatériel de Mokpo. Celui ou celle qui prendra le temps de parcourir le tout sans se presser, en écoutant le bruit des vagues, se plongera bientôt dans d’intéressantes réflexions.

Depuis 2006, le Festival du port de Mokpo se déroule en été sur la place de la Paix et aux environs de Samhakdo.

Le Musée de Namnong expose un ensemble remarquablement bien agencé de tableaux dus à des lettrés d’une école de peinture, dite « du Sud », qui a été influente du XIXe siècle à la seconde moitié du XXe, notamment ceux de Heo Geon (1908–1987), aussi connu sous le pseudonyme de Namnong, qui était le petit-fils et adepte par son style de Heo Ryeon (1808–1893), le plus illustre de ce groupe d’artistes dont le célèbre calligraphe Kim Jeonghui fit l’éloge en ces termes : « la plus grande dignité à l’est de la rivière Amnok [Yalu] ». Ses oeuvres sont également représentées, ainsi que celles de son fils Heo Hyeong et de ses disciples. Parmi elles, ma préférence va aux tableaux d’un autre membre encore de la famille, à savoir le frère de Namnong dénommé Heo Rim (1917–1942) et disparu à l’âge de 25 ans. Deux d’entre eux, qui s’intitulent Vieil homme vendant des poules (1940) et Sommets de montagnes (1941), représentent respectivement une scène de la vie quotidienne du peuple à l’époque coloniale et des paysages montagneux aux tonalités douces et aux lignes épurées. Tant il est vrai que c’est la profondeur d’âme d’un artiste qui fait la grandeur de son oeuvre, il fut un temps où j’aurais été capable de faire le voyage à Mokpo dans le seul but d’aller admirer ces deux tableaux. À mes yeux, ils constituent les plus beaux spécimens de la production de cette période de transition où les peintres coréens alliaient des techniques occidentales modernes à l’esprit qui animait la peinture des lettrés de Joseon.
Pour ceux qu’attire l’aventure comme pour le simple voyageur, une visite du Musée maritime national s’impose absolument. Ils y découvriront l’épave bien conservée d’un navire marchand de la dynastie des Yuan, le Sinan, qui sombra en 1323 au large de Mokpo, dans les eaux domaniales du canton des îles de Sinan. Différents objets qui s’y trouvaient témoignent du mode de vie des marins de cette lointaine époque, tandis qu’une autre salle s’intéresse à l’essor de la navigation dans le monde. Le visiteur s’y lance avec émerveillement sur les traces des navigateurs qui furent à l’origine des grandes découvertes du XVe siècle. Le célèbre explorateur chinois Zheng He (1371–1433), qui vécut sous le règne de l’empereur Yongle, de la dynastie des Ming, entreprit des expéditions avec sa flotte de soixante-deux bateaux qui sillonna les océans. Les sept voyages qu’il réalisa entre 1405 et 1433 l’entraînèrent dans nombre de pays d’Asie, du Moyen-Orient et d’Afrique. Il poursuivit ses périples jusqu’à un âge avancé et c’est en mer qu’il connut une fin digne de l’explorateur d’exception qu’il était. Dans la vie, chacun d’entre nous rêve de réaliser un projet important, comme on lancerait ses filets, ce qu’accomplit cet explorateur épris d’aventure en s’avançant dans l’immensité mystérieuse et inexplorée des océans, comme les hommes ont aspiré à le faire à toutes les époques.

Quatre écrivains originaires de Mokpo
En sortant du Musée de la céramique, on se trouve face au Pavillon de la littérature, qui présente la vie et l’oeuvre de quatre des nombreux grands écrivains qui ont vu le jour dans cette ville. Il s’agit du romancier Park Hwa-seong (1904–1988), des dramaturges Cha Beom-seok (1924–2006) et Kim U-jin (1897–1926), ainsi que du critique littéraire et chercheur en littérature française Kim Hyeon (1942–1990). En m’attardant jusqu’à la fermeture dans la salle consacrée à ce dernier, j’ai découvert qu’il avait écrit pas moins de 240 oeuvres éditées de son vivant. Si les lecteurs coréens ont autant apprécié les textes de cet écrivain qui n’était ni poète ni romancier, mais critique littéraire, c’est qu’il aimait passionnément les oeuvres dont il parlait et qu’il les abordait en n’y voyant pas qu’un sujet d’analyse, mais aussi des objets de sublimation.

Au Pavillon de la littérature de Mokpo, la salle Kim Hyeon expose des manuscrits et objets ayant appartenu à Kim Hyeon (1942–1990), ce critique littéraire épris de grands textes.

À chaque nouvelle oeuvre qui venait s’ajouter aux nombreuses autres qu’il avait déjà lues, il se lançait tout aussi éperdument dans sa lecture pour en révéler toute la part de rêve, ce qui procédait d’une démarche empreinte d’honnêteté intellectuelle.
« Plus on s’éloigne de soi-même, plus on s’en approche. C’est dans ce paradoxe que réside le secret de l’existence humaine ». Extrait du Journal de voyage artistique de Kim Hyeon (1975)
« Il n’y a pas de mauvaise façon de lire ; il n’y a que des façons différentes de lire. C’est d’elles que provient la nouveauté ». – Extrait d’À la recherche du pays natal de l’Homme (1975)
« La rumeur dit qu’un monde meilleur viendra. Mais cela signifie- t-il vraiment qu’il existera ? N’est-ce pas un vain rêve ? Avec hésitation, j’analyse et interprète le monde » – Extrait d’Analyse et Interprétation (1988)
Une promenade dans ces lieux où souffle le vent de l’histoire est un bienfait supplémentaire offert au voyageur. La poésie se cache parfois jusque dans le quotidien, comme j’ai pu le constater par moi-même à Mokpo.

Un port étant situé à la fin des terres, il représente pour certains l’espoir d’un nouveau départ.

Gwak Jae-gu Poète
Ahn Hong-beom Photographe

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