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2022 SUMMER

Livres et compagnie

Cursed Bunny (Lapin maudit)

Bora Chung, Traduit par Anton Hur, 2021, Honford Star, Stockport, 251 pages, 10,99 £

Des incursions hantées par les esprits

Premier recueil de nouvelles de Bora Chung édité en anglais et déjà présélectionné en vue de l’attribution de l’International Booker Prize, Cursed Bunny regroupe dix récits qui passent allègrement du genre de l’horreur à celui du fantastique ou de la science-fiction. Intitulés The Head et The Embodiment, les deux textes sur lesquels il s’ouvre, s’ils semblent d’entrée de jeu se dérouler dans une réalité assez proche de la nôtre, ne tardent pas à révéler leur étrangeté, avec ces personnages féminins qui doivent affronter l’horreur qu’elles ont-elles-mêmes enfantée. Si le lecteur ne peut que compatir à la souffrance de ces femmes, celles-ci n’ont droit qu’au mépris et à l’indifférence dans l’univers où elles évoluent. Dans Home Sweet Home et Reunion, les lieux dépeints par l’autrice allient également magie et réalité, mais on y devine partout la présence des esprits qui reviennent sans cesse tourmenter les vivants, comme autant de rappels des drames du passé, tout en apportant un certain réconfort aux héros. Des spectres hantent aussi l’univers de Frozen Finger, mais l’obscurité qui y règne tout autour du personnage principal ne permet à aucun moment de deviner ce qui se passe réellement. Le titre du récit en suggère évidemment la teneur, mais il y est aussi question d’avarice, de vengeance et d’effrayants fétiches qui vouent à la malédiction tous ceux qu’ils ensorcellent. Pour sa part, Snare adopte la trame d’un conte de fées pour faire s’évader le lecteur du présent en détournant le thème bien connu de l’animal qui se montre reconnaissant envers l’humain qui l’a libéré d’un piège. Le récit y emprunte certaines de ses figures aux contes traditionnels coréens, tel le personnage cupide de Nolbu, qui maltraite cruellement un moineau, ou ces fantômes affamés de renards. De même, Scars, qui constitue le plus long des textes de ce recueil, évoque à l’esprit l’univers des fables et légendes en entraînant le lecteur dans l’itinéraire accompli par le personnage principal pour retrouver l’origine des souffrances et souvenirs terribles qui hantent sa mémoire. Quant à Ruler of the Winds and Sands, il acquiert presque une dimension mythique dans le récit des combats surhumains que livrent les personnages, à l’instar de la vertueuse princesse, archétype de la jeune fille en détresse, qui tente désespérément de sauver son amour. Enfin, Goodbye, my love, qui, au premier abord, peut sembler être la seule de ces nouvelles à appartenir au genre authentique de la science-fiction, s’intéresse à la vision que nos contemporains ont de l’intelligence artificielle et aux conséquences de celles-ci sur l’avenir de l’humanité. Elle présente certaines analogies avec les œuvres d’Asimov, notamment par une charge affective qui continuera d’émouvoir le lecteur longtemps après qu’il aura refermé son livre.

Aussi variés soient-ils par leurs genres et thèmes, les textes constitutifs de ce recueil présentent des traits communs, notamment par le rapport au corps, souvent présenté comme un poids inutile, parce que voué à disparaître et soumis aux contraintes de la société. La cupidité et les conséquences qu’elle entraîne participent aussi des leitmotive de cette œuvre montrant l’avilissement progressif de ceux qui cherchent à posséder toujours plus au détriment d’autres qui sont dans le besoin. On ne saurait toutefois en conclure à l’intention purement moralisatrice de ces contes, car les apparitions de spectres que comportent certains d’entre eux ne provoquent que rarement l’effroi, hormis, peut-être, celles de The Frozen Finger. Les fantômes de Cursed Bunny ont au contraire vocation à rappeler les liens qui unissent l’homme au monde extérieur avec une puissance telle qu’ils subsistent longtemps après que l’âme a quitté son enveloppe charnelle. Ici, le genre de l’horreur ne réside pas toujours dans ce qui paraît étrange ou surnaturel, mais, au contraire, dans notre quotidien ordinaire et dans les tréfonds obscurs de l’être imparfait qu’est l’humain. C’est cette nature cachée vers laquelle Bora Chung tend le miroir de son écriture pour inciter le lecteur à en affronter les aspects les plus troublants. Gageons qu’après avoir achevé sa lecture et éteint la lumière, ceux-ci persisteront longtemps en lui avant qu’il ne s’endorme.

Cold Candies (Bonbons froids)

Lee Young-ju, Traduit par Jae Kim, 2021, Black Ocean, Boston, 86 pages, 16 $

Une recherche commune de fragments d’existence

Cold Candies entend présenter au lectorat anglophone des morceaux choisis de la poésie composée par Lee Young-ju au cours des vingt dernières années, dans une écriture en prose se situant à mi-chemin entre narration et lyrisme et pouvant prendre la forme de courts récits ou de fragments de récits formulés de manière évasive, mais non moins évocatrice. Le lecteur qui les découvre a l’impression de regarder le monde à travers un kaléidoscope, car pensées, souvenirs et émotions se brisent en mille éclats qui brillent sous la lumière. L’auteur procède avec les mots comme le ferait un peintre impressionniste, c’est-à-dire en se refusant à tracer des lignes distinctes qui imposeraient une certaine lecture. Dans le flot des mots qui submerge le lecteur, celui-ci voit peu à peu se dessiner des images distinctes. Les scènes étranges qu’elles forment ne sont pas dépourvues de thèmes, notamment celui de la mort, omniprésente et précédée d’un inexorable déclin. Et pourtant, le pourrissement et son odeur douceâtre ne s’inscrivent-ils pas dans le cycle de la vie ? La fluidité de l’écriture évoque l’eau, qu’elle soit d’un fleuve ou de toute autre nature, y compris celle qui s’échappe du corps sous forme de larmes, de sang ou d’urine. Si le corps est voué à la souffrance, il fournit aussi un sol fertile où croissent et se développent d’autres choses, des omoplates en croissant de lune d’une jeune fille aux champignons des moisissures qui prennent vie et s’unissent mystérieusement.



Lim Hee-yunJournaliste culturel au Dong-A Ilbo

Gonseonggye (Un monde sans son)

BBIRIBBOO, 2022, EP, CAIOS, Séoul ; gratuit en streaming sur Melon, Apple Music et YouTube

Un monde sans son

Le mot « gongseonggye », qui a donné son titre à cet album, signifie « Un monde sans son » et a été inventé par ses interprètes, le groupe coréen de musique traditionnelle de fusion BBIRIBBOO. Cette première livraison enregistrée en début d’année évoque le périple de voyageurs partis à la découverte d’un monde imaginaire.

L’ensemble musical en question se compose de Kwon Sol-ji et de Son Sae-ha, deux joueurs d’un hautbois à anche double dit piri, auquel se joint le bassiste et producteur Heven. Les deux premiers, comme les autres musiciens spécialistes de cet instrument, interprètent aussi des mélodies au taepyeongso et au saenghwang, qui sont respectivement un hautbois conique et un instrument à vent à anche libre composé de dix-sept tuyaux en bambou.

Premier morceau de l’album, ainsi que le plus célèbre, puisqu’il a marqué l’irruption de BBIRIBBOO sur la scène musicale, Iraiza débute par des tonalités électroniques sombres et mouillées évoquant les ténèbres de l’immensité interplanétaire. S’ensuit l’intervention des deux taepyeongso qui rappellent cette fois le vacarme du lancement d’une fusée, mais voilà que se déchaînent les rythmes de la basse et du charleston, comme de furieux coups de fouet provoqués par quelque raison mystérieuse.

Eunneuny réalise une refonte du son ambiant par les apaisantes harmonies émanant des deux piri, qui semblent nager majestueusement, telles ces étranges méduses des profondeurs marines, puis, sur ce fond de calme et de quiétude, se détachent soudain les tonalités puissantes d’une éblouissante mélodie.

In Dodri propose une variation sur le thème musical du titre Yangcheong Dodeuri issu de la célèbre suite Cheonnyeon manse (Celebrating Eternity) particulièrement appréciée de la cour et de l’élite de la société sous le royaume de Joseon. Ce morceau est le seul de l’album à appartenir au genre de la musique de danse, mais en adoptant un rythme de funk, et à être accompagné à la basse.



Charles La ShureProfesseur au Département de langue et littérature coréennes de l’Université nationale de Séoul

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