Dans les villes coréennes, les services dits de « livraison à l’aube » ou de « livraison éclair » font d’ores et déjà partie du quotidien et, s’ils permettent de se faire apporter de bon matin des produits alimentaires commandés la veille avant minuit pour le petit déjeuner ou d’autres usages, cette pratique présente aussi quelques inconvénients.
En Corée, les consommateurs recourent à la livraison de leurs courses depuis déjà plusieurs années, et ce, sans que le confinement et le stockage de provisions n’aient été à l’ordre du jour, car la possibilité d’éviter les déplacements jusqu’à des magasins parfois éloignés a tôt fait de les convertir à cette nouvelle pratique. Cette tendance allait s’accentuer avec l’apparition de services de « livraison à l’aube » grâce auxquels la commande du client est préparée, emballée et livrée pendant que celui-ci dort sur ses deux oreilles. La situation actuelle imposant le respect de la distance physique entre les personnes, dans leur pays comme ailleurs, ce type de livraison s’avère désormais indispensable à leurs yeux.
L’adieu au supermarché
Le personnel travaille sans relâche à la préparation et à l’emballage des commandes dans ce centre de distribution d’une entreprise de logistique créée dernièrement. © Market Kurly
Alors que la livraison convenait, voire s’imposait autrefois lors de l’achat d’articles nombreux ou volumineux, dans les années 1990, la multiplication des grandes surfaces a favorisé le développement de cette pratique, qu’allait encore faire évoluer un service de « livraison à l’aube » proposé quinze ans plus tard par une petite start-up de vente en ligne. Cette prestation permet, moyennant commande et règlement avant minuit, de se faire apporter à domicile les aliments destinés au petit déjeuner dès le lendemain matin à sept heures ou plus tôt encore. Le soin apporté à leur emballage garantit une parfaite conservation des denrées périssables telles que viande et produits laitiers jusque sur la table du consommateur. En outre, la gamme des articles livrés ne se limite pas aux produits alimentaires et peut porter sur tout autre achat du client, y compris un simple liquide vaisselle.
Ceux qui ont goûté à une telle commodité pouvant difficilement s’en passer par la suite, cette nouvelle pratique n’a pas manqué d’entraîner la fermeture de nombreux magasins. Pour bien des actifs aux longues journées de travail, le rituel des courses du week-end exigeait de se déplacer jusqu’à une grande surface pour y remplir aussi rapidement que possible son chariot de provisions pour une semaine. Désormais, la livraison à domicile supprime en grande partie les longues heures de conduite suivies de la recherche d’une place de parking, puis le temps passé à parcourir les rayons et à attendre aux caisses.
Les entreprises de logistique ont été promptes à s’engouffrer dans ce créneau en proposant des livraisons au pas de porte qualifiées d’« express ». Dans le secteur de l’habillement tout comme dans celui des cosmétiques, les cyberboutiques auxquelles les acheteurs passent commande avant dix heures effectuent la livraison l’après-midi même. Quant au personnel des teintureries, il se rend chez les clients pour qu’ils leur remettent linge, vêtements, chaussures ou couvertures, voire des sacs ou chaussures pouvant être nettoyés. Après avoir lavé et repassé les vêtements qui leur sont confiés, ils les rapportent dans un délai de deux jours en se contentant de les suspendre devant la porte des intéressés sans que ceux-ci n’aient à ouvrir.
Les conditions de travail des livreurs posent aujourd’hui question dans la mesure où toujours plus de consommateurs se font livrer nuitamment à domicile des produits alimentaires, mais aussi d’autres types d’articles. © Coupang
L’essor des « livraisons éclair » fournit un nouvel exemple du rythme rapide auquel aiment à vivre les Coréens, ce trait bien connu du caractère national s’étant révélé bénéfique lors de la pandémie de Covid-19 grâce à la réactivité avec laquelle ont su y faire face tant les professionnels de la santé et les pouvoirs publics que la population.
Un climat de confiance
Quand s’est déclarée la pandémie de Covid-19, les consommateurs de nombreux pays se sont empressés de stocker des produits de première nécessité, alors que la Corée ne connaissait pas cette réaction de panique en raison du civisme de sa population, ainsi que de la bonne implantation de ses pratiques logistiques, notamment en matière de livraison. Grâce à ces services parfaitement mis au point, les rayons des commerces n’y ont jamais êté dévalisés par des clients inquiets après avoir longuement attendu à l’entrée.
Cette possibilité s’avère indéniablement très avantageuse par son côté pratique, mais aussi par le respect qu’elle autorise des consignes de limitation des contacts physiques à observer en cas de pandémie. Dans les immeubles résidentiels, les livreurs se contentent en effet de déposer les courses dans la loge du gardien ou tout simplement à la porte du client, après y avoir sonné, mais en repartant aussitôt, de telle sorte qu’aucune proximité n’intervient entre eux et leurs clients.
À bien des égards, l’essor des « livraisons éclair » fournit un nouvel exemple du rythme rapide auquel aiment à vivre les Coréens depuis l’industrialisation fulgurante qu’a connu leur pays dans les années 1960 et 1970. Accoutumés qu’ils sont à agir au plus vite et à exiger des réactions rapides en toute circonstance, ils se montrent tout aussi impatients envers l’État, dont ils attendent les réalisations dans les plus brefs délais. Ce trait bien connu du caractère national s’est révélé bénéfique lors de la pandémie de Covid-19 grâce à la réactivité avec laquelle ont su y faire face tant les professionnels de la santé et les pouvoirs publics que la population.
La multiplication des livraisons de courses alimentaires s’explique également par la possibilité de laisser les produits concernés devant une porte sans craindre de les voir disparaître, ce qui n’a pas de quoi surprendre dans un pays où le client d’un café peut laisser son ordinateur portable et d’autres effets personnels sur sa table en toute tranquillité pour aller aux toilettes. Les commerçants eux-mêmes exposent souvent des marchandises devant leur magasin, sachant que personne ne les volera. Sans ce climat de confiance, jamais la pratique de la « livraison à l’aube » n’aurait pu s’implanter aussi durablement dans la vie quotidienne, car la perspective de ne pas fermer l’œil de la nuit, en s’inquiétant d’un vol éventuel commis au petit matin, a de quoi dissuader tout un chacun de recourir à ce service.
Depuis que s’est déclarée la pandémie de Covid-19, les livreurs déposent le plus souvent les colis sur les pas de porte ou les suspendent aux poignées de porte pour éviter de se trouver en présence de leurs clients. © SSG.COM
De bons et mauvais côtés

Les entreprises de logistique s’efforcent depuis peu de réduire autant que possible la taille de leurs emballages, mais aussi de recourir à des matières recyclables plus écologiques, car la surproduction de déchets de conditionnement se pose aujourd’hui de manière plus aiguë. © Market Kurly
La disponibilité des livraisons à domicile vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept impose évidemment des horaires décalés au personnel qui les assure, notamment en l’obligeant à dormir dans la journée, et ce, pour assurer la satisfaction du client. À cela s’ajoute le stress engendré par la contrainte de temps inhérente à cette activité, y compris de jour, en vue du respect des délais précis fixés par les clients, et la concurrence effrénée qui en résulte entre livreurs.
En dépit de ce contexte très concurrentiel, ceux-ci ne sont pas rémunérés de manière satisfaisante, car les entreprises qui les emploient pratiquent de très faibles prix de livraison, de l’ordre de 2 500 à 3 000 wons, pour les petites et moyennes commandes. Ces travailleurs n’étant pas autorisés à se faire verser un pourboire, ils ne perçoivent que le faible montant de leur salaire, d’où la revendication qu’ils ont émise dernièrement de se voir attribuer une prime de rapidité.
Le succès des livraisons alimentaires pose aussi un problème environnemental en raison de la grande quantité d’emballages qu’elles exigent. Depuis quelque temps, figurent parmi ceux-ci les boîtes en polystyrène destinées à tenir au frais et protéger des chocs viande, fruits et légumes, les consommateurs devant alors se débarrasser de quantité de matière plastique non biodégradable.
Autant de réalités déplaisantes que la grande commodité de la « livraison à l’aube » faisait oublier à ses débuts, mais qui posent aujourd’hui problème et incitent notamment certaines entreprises à réduire au maximum leurs emballages tout en privilégiant les matières recyclables. Certaines substituent ainsi aux packs de glace en plastique des sachets en papier remplis d’eau très froide ou des liens en papier au ruban adhésif en plastique, tandis que d’autres s’astreignent, à la récupération de récipients ou sacs usagés, et que les détaillants eux-mêmes évitent de placer leurs plus petits articles dans des boîtes surdimensionnées et enveloppées de papier bulle.