Au pied des imposants gratte-ciel qui se dressent au cœur de Séoul, les palais du royaume ancien de Joseon étendent leurs constructions dont l’atmosphère paisible offre un répit bienfaisant dans cette ville au rythme trépidant, mais leurs attraits ne se résument pas à ceux d’un havre de verdure, car la conception de celui-ci révèle une vision philosophique de la nature propre à cette lointaine époque.
C’est au pavillon de Gyeonghoeru, cette construction du palais de Gyeongbok, que les rois donnaient leurs banquets à l’intention des fonctionnaires et qu’ils recevaient les émissaires. Ravagé par un incendie, il fit l’objet d’un chantier de reconstruction jusqu’en 1867 et fut pourvu d’imposants piliers extérieurs de section carrés, ainsi que de colonnes à l’intérieur, conformément à une croyance ancienne voulant que la terre et le ciel épousent respectivement ces formes.
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En pénétrant dans les jardins d’un palais coréen, on découvre invariablement un pont de pierre dont l’arc enjambe gracieusement un ruisseau artificiel portant le nom de Geumcheon, lequel possède une signification profonde, puisqu’il est traduit littéralement par « flux interdit ». Ce cours d’eau limpide, qui s’écoule entre l’enceinte et la porte du palais proprement dite, réalise certaines conceptions de la géomancie ancienne connue en Corée sous le nom de pungsu. Celle-ci veut notamment qu’une demeure bordée de montagnes à l’arrière et d’eau à l’avant ait le pouvoir d’éloigner les esprits malfaisants et d’assurer un avenir prospère. Le ruisseau invite également les visiteurs à se défaire de leurs vaines préoccupations et à se comporter dignement en ces lieux.
Les alentours pittoresques du Geumcheon préfigurent les beautés à découvrir, avec leur ouvrage d’art orné de sculptures représentant des animaux porte-bonheur et les nombreux arbres qui offrent leur abri ombragé ainsi que le spectacle de leurs couleurs. Pruniers, cerisiers et abricotiers se parent de teintes éclatantes au printemps, puis se chargent de fruits quand vient l’été.
Dans la partie centrale du palais, où le roi et ses fonctionnaires exerçaient leurs fonctions et recevaient les visiteurs, on remarque l’austérité de ces lieux où rien ne vient distraire le regard, hormis la majestueuse montagne qui se dresse en arrière-plan et fascine l’observateur.
Au nord de l’étang de Buyong qui s’étend dans le jardin secret du palais de Changdeok, s’élève sur deux étages le pavillon de Juhamnu, où se rendait le roi Jeongjo (r. 1776-1800) pour se consacrer à l’étude ou prendre du repos.
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Un style unique en son genre
Les jardins des palais de Joseon fournissent une illustration de l’idéal de beauté de leur temps, à savoir une esthétique simple et le respect de la nature, avec leurs bassins rectangulaires et leurs parterres de fleurs qui se fondent dans le cadre naturel. Contrairement aux jardins traditionnels plus connus d’autres pays d’Extrême-Orient, ceux des palais coréens présentent peu de traits distinctifs et ne sont donc pas reconnaissables à première vue. À l’inverse, les jardins privés chinois de Suzhou se distinguent par leurs rochers aux formes curieuses posés devant des murs blancs et évoquent un cadre naturel en miniature, tandis que dans les jardins de Kyoto, il est fait usage de sable et de pierres pour symboliser respectivement l’eau et les montagnes.
Les jardins des palais coréens anciens se caractérisent avant tout par une absence délibérée de minutie, car ils ne cherchent pas à reconstituer fidèlement des paysages du milieu naturel en les miniaturisant. Leur conception relève de l’interprétation plutôt que de la reproduction, car la quintessence de la nature ne réside pas dans son aspect extérieur voué à rester superficiel, mais dans les principes d’éthique qu’elle contient en elle-même. Si l’art du jardinage a, ailleurs, vocation à favoriser l’épanouissement de l’esprit, il vise, en Corée, à faire redécouvrir une nature à l’état brut en y apportant le moins de modifications possibles.
Une harmonie parfaite
Situé au cœur de la capitale, le palais de Gyeongbok possède les jardins de palais traditionnels les plus anciens en leur genre et il est parvenu jusqu’à nos jours dans un remarquable état de conservation depuis sa construction en 1412 par le roi Taejong (r. 1400-1418), outre qu’il est considéré comme l’archétype des jardins d’époque Joseon. Il occupe un vaste terrain plat qui s’étend à l’ouest des résidences royales et comporte un bassin rectangulaire qui entoure majestueusement le Gyeonghoeru, un pavillon de grandes dimensions, ces différents éléments composant un ensemble géométrique d’une beauté remarquable.
En entrant dans l’enceinte du palais de Changgyeong, le visiteur découvre en premier lieu le pont d’Okcheon, qui semble matérialiser l’accès au domaine royal et rappeler à chacun qu’il convient de se comporter avec la dignité qui sied à ces lieux.
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S’agissant du pavillon, il constitua la plus imposante construction de ce type de toutes celles de l’époque de Joseon. En outre, il offre un panorama exceptionnel du mont Bugak, cette « montagne gardienne » à laquelle s’adosse le palais, et des autres constructions dont les toits dessinent les vagues ondulantes de leurs tuiles gracieusement incurvées. Lorsqu’ils se tenaient en haut de ce pavillon de grande taille, les gouvernants ne pouvaient qu’être rappelés aux devoirs qui leur incombaient envers la terre qui s’étendait à leurs pieds.
Cet agencement éveillant l’intérêt des offices gouvernementaux et des nobles de province, les jardins du palais de Gyeongbok allaient représenter pendant des siècles le prototype du style et de l’esthétique des jardins royaux ou particuliers de tout le pays.
Non loin de là, ceux qui s’étendent à l’arrière du palais de Changdeok possèdent la beauté naturelle que leur confère leur topographie vallonnée et s’harmonisent parfaitement avec les différentes constructions du palais, résidences ou bâtiments administratifs, réalisant ainsi à eux seuls l’alliance de la beauté architecturale, paysagère et naturelle.
Entrepris au XVIIe siècle, l’aménagement de cet espace au fond du site abritant le palais procéda avec une lenteur délibérée afin d’y intégrer progressivement les éléments naturels que sont les collines, mais aussi les ravins, ruisseaux, arbres, rochers et sources. À l’entrée des jardins du palais de Changdeok, on se trouve dans un premier espace ayant pour centre le pavillon de Juhamnu qui prend place sur un terrain vallonné. C’est vue d’en bas que cette construction à plusieurs niveaux révèle le mieux sa splendeur, tandis qu’en son sommet, elle permet d’embrasser du regard le bassin situé en contrebas, auquel mène directement un grand escalier. Cette étendue d’eau de forme irrégulière s’étend dans une partie du site nommée Jondeokjeong, où plusieurs pavillons de formes variées furent construits au bord de l’eau.
À proximité de l’Ongnyucheon, ce ruisseau qui s’écoule au centre du jardin, d’énormes rochers artificiels composent un paysage pittoresque, tandis que de nombreux petits pavillons offrent des lieux tranquilles où se reposer et profiter de la vue. Ils s’élèvent à l’abri d’une forêt superbe, source d’émerveillement tout au long de l’année avec ses arbres qui se couvrent de jeunes feuilles et de fleurs éclatantes au printemps, dispensent leur ombre rafraîchissante en été, se parent de couleurs en automne et fournissent un refuge plein de quiétude en hiver.
Le respect de la nature
Les palais royaux de Joseon comportaient également sur leur domaine de plus petits jardins qui s’y répartissaient au voisinage des lieux de vie, dont celui d’Amisan situé à l’arrière du pavillon de Gyotaejeon abritant les appartements de la reine, au palais de Gyeongbok, ou celui qui s’étendait derrière le pavillon de Daejojeon où se trouvaient de tels appartements au palais de Changdeok. Composés de parterres en terrasse de fleurs et d’autres plantes dont les variétés changeaient selon la saison, ces deux jardins comportaient aussi des cheminées richement décorées et des roches ornementales.
Édifié pendant la seconde moitié du XIXe siècle pour offrir un lieu de détente au roi et à la famille royale, le pavillon hexagonal de Hyangwonjeong disposait déjà du chauffage par le sol traditionnel, dit ondol, ce que des travaux de restauration ont révélé il y a peu.
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Entre autres exemples, il convient aussi de citer les magnifiques jardins du palais de Geoncheong, une résidence royale distincte située à l’intérieur même du domaine de Gyeongbok, ainsi que ceux des résidences de Nakseonjae qui se trouvent dans l’enceinte du palais de Changdeok. Le deuxième de ces palais, que le roi et la reine utilisaient principalement à des fins de détente, s’entourait d’un jardin et d’un bassin de grandes dimensions au centre duquel se trouvait un îlot et au bord duquel se dressait un pavillon hexagonal. L’été venu, il suffisait d’emprunter le pont menant à ce pavillon pour comprendre l’origine de son nom de Hyangwonjeong, qui signifie « pavillon au milieu du parfum lointain des fleurs de lotus ». Quant au jardin du palais de Changdeok qui s’étendait autour des résidences de Nakseonjae, il est également réputé pour sa beauté. L’escalier qui mène aux parterres de fleurs en terrasse dessert un pavillon d’où le visiteur disposera d’une vue panoramique des environs et de Manwolmun, cette porte en forme de pleine lune.
Des transformations et un rôle nouveau
La grande serre du palais de Changgyeong fut, lors de sa création en 1909, la première construction de style occidental réalisée dans le pays. Elle connaît un succès croissant grâce à la grande diversité des plantes tropicales et autres espèces végétales rares en Corée qui y sont représentées.
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Quand disparut le dernier royaume de Joseon, ses palais furent ouverts au public et leurs jardins, reconvertis en parcs dont l’aménagement paysager allait subir d’importantes modifications par rapport à la tradition.
À Séoul, le palais de Changgyeong allait s’en trouver métamorphosé. Sous la royauté, s’étendaient à l’arrière du palais des terrains réservés à la pratique d’activités telles que le tir à l’arc ou l’équitation, mais comportant aussi une parcelle sur laquelle le roi s’adonnait à des cultures. En 1909, allait y être construite la Grande serre en acier et en verre de style occidental, qui fut la première en son genre en Corée. Elle s’étendait à côté d’un jardin dans lequel allait être créé un bassin circulaire qui se démarquait ainsi des bassins rectangulaires traditionnels d’époque Joseon.
Aujourd’hui, les jardins des palais de Joseon continuent de représenter l’idéal de beauté et l’inspiration philosophique caractéristiques de l’art paysager traditionnel coréen. Autrefois destinés au seul plaisir de la famille royale, ils se sont transformés en lieux de loisirs ou de tourisme accessibles au public. Les parties bien conservées de leur aménagement d’origine donnent une bonne idée de ce qu’ils furent jadis et on imagine sans mal à quel point le roi et les siens se plaisaient à y contempler fleurs et plantes, forêts, étangs et pavillons.
Lim Han-sol Chercheur principal à l’Institut de planification environnementale de l’Université nationale de Séoul