À l’heure où les grandes marques de la mode coréenne s’imposent toujours plus à l’international, de jeunes créateurs innovent avec audace par l’originalité de leurs stratégies et un recours judicieux à la narration numérique qui leur permet d’accroître leur visibilité.
Située dans l’immeuble Lotte World Tower, la boutique Mardi Mercredi propose ses modèles au style réputé évoquant le chic à la française qu’apprécie tout particulièrement une clientèle de jeunes femmes de vingt à quarante ans séduite par ces créations simples, élégantes et confortables.
Avec l’aimable autorisation de Creative Studio UNRAVEL ; Photo de Sunghoon Han
Dans le domaine de la mode, le parcours des stylistes coréens se ressemblait le plus souvent jusqu’ici, de leur formation en école et en stage au lancement d’une marque qu’ils espéraient voir couronner de succès, mais cet itinéraire classique évolue depuis quelques années.
Désormais, les nouveaux créateurs commencent par s’imposer à l’international et ce n’est qu’ensuite qu’ils présentent leurs collections dans les défilés nationaux pour se faire une place sur le marché intérieur. Ils affirment leur différence par une modernité résolue susceptible de plaire partout dans le monde et la nouveauté des moyens auxquels ils ont recours pour acquérir une meilleure visibilité.
Au nombre des plus connus d’entre eux, se trouvent en premier lieu Woo Youngmi et Jung Wook-jun, dont les marques respectives de prêt-à-porter de luxe Woo Youngmi et JUUN.J sont d’ores et déjà très présentes à l’international. Tous deux sont affiliés à la FHCM, cette prestigieuse Fédération de la haute couture et de la mode à qui l’on doit la Fashion Week de Paris. Elle exige de ses membres qu’ils soient implantés dans la capitale française et fassent l’objet d’une sélection rigoureuse opérée par des professionnels du secteur.
Avec sa marque KIMHĒKIM, Kiminte Kimhekim fait partie des rares adhérents coréens que compte la FHCM, aux côtés de Woo Youngmi et de Jung Wook-jun. Cependant, contrairement à la première, il ne possède ni boutique à Paris ni réseau commercial fourni par de grandes entreprises telles que JUUN.J, qui appartient au groupe Samsung C&T Fashion Group. En revanche, cette enseigne se distingue par son emploi remarquable des réseaux sociaux, comme a permis de le constater le succès de sa collection Attention seekers lors de l’édition 2019 de la Fashion Week. Son original défilé où les mannequins étaient porteurs de tubes de perfusion intraveineuse et de perches à selfie a été diffusé dans des vidéos qui sont aussitôt devenues virales. Ses modèles à la coupe aussi soignée qu’audacieuse exerçaient un charme magnétique qui les plaçait au niveau de créations de haute couture d’une grande attractivité. Un tel succès démontre à quel point les réseaux sociaux peuvent jouer un rôle de tremplin dans la notoriété internationale des créateurs, même si le nombre de likes engrangés ne se reflète pas toujours dans celui des ventes.
En juin 2023, la collection Printemps-Été 2024 présentée par JUUN.J au Palais de Tokyo sur le thème de la « Peau » faisait appel à des mannequins aux silhouettes très différentes.
© JUUN.J
La collection Printemps-Été Noir et Blanc qu’a révélée cette année KIMHĒKIM à la Fashion Week de Paris présentait le style tout à la fois poétique et épuré, évocateur d’une beauté faite de puissance et de féminité, qui constitue la marque de fabrique de sa créatrice.
© KIMHĒKIM
Genèse de la K-Fashion
La naissance d’une industrie coréenne de la mode date des années 1990 et de l’apparition de premières collections à l’initiative de la Seoul Fashion Artists Association (SFAA). Outre que cet événement a contribué à élever le niveau de la création nationale, il a favorisé l’organisation d’importantes manifestations telles que la Fashion Week de Séoul, qui fournissent aux créateurs l’occasion de présenter leurs modèles et ouvrent la voie à leur participation à de prestigieux défilés étrangers.
En mars 1993, les célèbres créatrices Lee Shin-woo et Lee Young-hee ont notamment fait leurs premiers pas à Paris, la première avec des modèles futuristes, tandis que la seconde se signalait par une collection réalisant une fusion entre le style occidental et l’esthétique particulière du costume traditionnel dit hanbok. Au cours de cette même année, elles allaient être rejointes dans la capitale française par celle en qui beaucoup voient la mère de la mode coréenne, à savoir Jin Teok, dont les tenues à la fois simples et raffinées sont l’émanation d’une manière d’être coréenne. Telles ont été les pionnières de cette nouvelle génération de créateurs et créatrices qui ne s’est pas contentée de faire connaître la mode coréenne dans le monde et s’est aussi attachée à mettre en place les fondements d’une industrie aujourd’hui florissante.
Au tournant du nouveau millénaire, les marques nationales allaient toutefois amorcer un net repli face aux produits d’importation à bon marché, aux fabrications de série et à l’apparition de la mode rapide, contraignant dès lors les jeunes créateurs à élaborer de nouvelles stratégies pour imposer leurs marques.
Inspirée de la légende coréenne de la princesse Bari, la collection du même nom présentée en 2022 était due à la célèbre créatrice MINJUKIM, qui adapte avec un talent exceptionnel les contes de fées d’autrefois dans ses vêtements pratiques et portables tous les jours.
© MINJUKIM
Il y a encore peu, catalogues, publicité des magazines et défilés de mode constituaient d’indispensables outils pour faire connaître une nouvelle marque de mode, mais le rôle des influenceurs et célébrités permet aujourd’hui d’atteindre cet objectif beaucoup plus rapidement. Les collections saisonnières longuement préparées ont cédé la place à des vidéos très courtes que les internautes partagent souvent en ligne et qui offrent autant de moyens supplémentaires de faire connaître et apprécier le fruit de leur travail en Corée comme à l’étranger.
Une originale stratégie
S’agissant du lancement d’une marque, les nouveaux venus du secteur de la mode n’hésitent pas à faire preuve d’esprit d’innovation. Par son style simple et décontracté, la marque Matin Kim fournit un excellent exemple des créations très tendance qu’apprécie le public jeune de Corée et d’ailleurs. La créatrice a fait ses débuts dans la mode grâce à son blog accessible sur le principal portail internet coréen, NAVER, qui lui a permis ainsi d’être en relation constante avec ses followers et clients, un groupe de fidèles admirateurs qui a joué un rôle clé dans son expansion.
Cette année, les boutiques éphémères qu’elle a ouvertes à Tokyo et dans d’autres villes du Japon ont rencontré un tel succès que Matin Kim prévoit de s’implanter dans d’autres pays d’Asie, notamment à Hong Kong, Macao et Taiwan dès les mois prochains afin d’être toujours plus présente sur les marchés régionaux et internationaux.
Initialement lancée en ligne, Matin Kim s’est également distinguée sur le marché classique, enregistrant un chiffre d’affaires de 100 milliards de wons (environ 75 millions de dollars américains) l’année dernière. La marque gère actuellement 14 magasins. Son expansion rapide est le résultat d’une communication très efficace avec son public cible.
ON THE PATH, la collection Printemps 2024 de Matin Kim, semble tout imprégnée de la chaleur du soleil printanier comme du dynamisme de la vie urbaine et les moments du quotidien y sont évoqués par unelibre et ouverte.
© Matin Kim
Créée en 2018 par JIYOOL KWON et THUG MIN, la marque THUG CLUB connaît aussi un remarquable essor qui s’explique par sa conception novatrice et décontractée de la mode. Ses fondateurs, qui exercent également la profession de mannequin, se servent continuellement des réseaux sociaux pour informer les internautes de leurs créations, ce qui apporte à celles-ci un côté plus personnel et accessible. En 2021, leur nouvelle gamme de sous-vêtements, sur lesquels étaient imprimés des slogans provocateurs, n’a pas tardé à retenir l’attention du public par la fraîcheur et l’audace de son style. Ce simple trait d’esprit a amélioré la visibilité de THUG CLUB et lui a permis de devenir une marque de streetwear plus raffinée et recherchée encore. En associant à sa promotion de célèbres musiciens coréens et étrangers qui arboraient ces vêtements et en vantaient les qualités, l’enseigne allait acquérir une solide assise sur le marché mondial. Son association actuelle avec des marques renommées telles que MCM et Gentle Monster représente une nouvelle étape de son expansion et révèle une recherche de nouvelles voies de création.
Hybrid Cowboy, la collection Printemps-Été 2024 de THUG CLUB, propose une nouvelle lecture pleine d’inventivité du personnage du cowboy, ses créateurs y exprimant comme toujours leurs idées et émotions avec une audace qui leur permet d’innover et de donner le jour à de nouvelles tendances.
© THUG CLUB
Une clientèle enthousiaste
Dans l’univers en constante évolution de la mode, les t-shirts dits « nationaux » font régulièrement leur retour, à l’instar de ceux ornés d’un dessin de marguerite que portent beaucoup de jeunes femmes depuis quelques années. À les voir aussi répandus, on pourrait croire qu’il s’agit d’articles publicitaires gratuits, mais leur célèbre fleur est en fait le logo de la marque Mardi Mercredi lancée en 2018 par les créateurs Park Hwa-mok et Lee Su-hyun en s’inspirant du chic français et en y ajoutant une touche de décontraction qui suscite l’adhésion du public.
Prévu à l’origine pour ne durer qu’une saison, ce motif allait remporter un succès inattendu, à tel point que la marque en a fait son emblème. Véritable coup de maître, ce choix simple, mais non moins percutant, allait bénéficier d’une importante présence sur les plates-formes en ligne et propulser Mardi Mercredi sur la voie de la réussite. L’enseigne possède aujourd’hui des boutiques sur plusieurs grandes plate-formes de mode en ligne telles que MUSINSA ou 29CM et cible une clientèle d’adolescents ou de jeunes adultes par des prix abordables. Forte de son succès en ligne, Mardi Mercredi s’est également implantée dans la capitale coréenne en ouvrant un magasin phare où se presse une clientèle comportant de nombreux touristes étrangers. Ainsi, sa fameuse marguerite fait figure de symbole de la mode coréenne actuelle dans son ensemble.
Aux créateurs d’autrefois, qui procédaient avec prudence et par des méthodes éprouvées pour se construire peu à peu une marque, ont succédé de jeunes générations qui se lancent audacieusement à la conquête du marché et innovent en sachant saisir les dernières tendances de la consommation. Elles participent d’un environnement dynamique et diversifié qui échappe à tout classement dans une catégorie ou une autre et permet ainsi à l’industrie coréenne de la mode de prendre librement son essor.