Toujours plus présentes dans la culture dominante, les idoles virtuelles de la K-pop remportent un succès bien réel grâce aux prodiges de l’intelligence artificielle, qui les dotent d’une apparence humaine des plus ressemblantes, de talents remarquables en chant et en danse, mais aussi de qualités relationnelles à l’égard du public.
© VLAST
En février dernier, le grand magasin Hyundai Seoul situé dans le quartier de Yeouido dévoilait au public sa cascade mobile, une œuvre d’art médiatique d’une ampleur inégalée, mais les nouveaux venus du divertissement coréen qu’il présentait dans ses boutiques éphémères allaient intéresser plus encore le public. Il s’agissait des groupes de musique virtuels à succès que sont ISEGYE IDOL, StelLive et PLAVE composés de six filles pour les deux premiers et de cinq garçons pour ce dernier.
À peine un mois plus tard, PLAVE arrivait en tête du concours de l’émission de télévision Show ! Music Core en détrônant la formation féminine LE SSERAFIM et la chanteuse BIBI : pour la première fois, une idole virtuelle venait ainsi de ravir la première place d’un concours coréen de ce type.
Ces deux exemples démontrent que la technologie repousse peu à peu les limites qui s’imposaient jusqu’ici dans le domaine du divertissement par la création d’artistes virtuels si excellents en chant et en danse qu’ils rencontrent le même accueil que leurs homologues humains. Ceux qui pensent que leurs attraits ne peuvent être qu’artificiels de par leur nature seraient bien avisés de s’en faire une autre opinion.
Le 9 mars dernier, le groupe virtuel PLAVE allait être le premier du genre à l’emporter dans un concours de musique télévisé coréen, un exploit que les gagnants allaient célébrer en envoyant une photo à leurs fans sur les réseaux sociaux.
© VLAST
L’apparition de nouvelles idoles
Ces vedettes virtuelles se sont particulièrement multipliées pendant la pandémie de Covid-19, les restrictions imposées par le confinement ayant incité les producteurs de divertissements à faire appel à la technologie, en particulier l’intelligence artificielle, pour trouver un remplacement aux émissions diffusées en direct.
Aujourd’hui, les avancées considérables de l’IA ne font que renforcer la présence d’idoles virtuelles dans l’industrie du spectacle, notamment par la reproduction intégrale du corps humain, alors que les modélisations ne portaient jusqu’ici que sur le visage. Au moyen de la technologie d’échange de visages en temps réel, chanteurs et danseurs peuvent transmettre leur talent aux doubles virtuels qui sont leurs jumeaux numériques.
De son côté, le public ne s’embarrasse guère de détails infographiques. Pour lui, peu importe l’identité des artistes réels qui interviennent dans les coulisses et leurs doubles virtuels suscitent chez lui tout autant d’enthousiasme, d’admiration et de fidélité que ne le font les premiers. Dès maintenant, ces idoles virtuelles évoluent dans l’écosystème qu’elles se sont construit et qui leur est propre.
Le festival hors ligne ISEGYE qui s’est déroulé en septembre dernier au Songdo Moonlight Festival Park d’Incheon a donné une idée des extraordinaires perspectives qui s’offrent au secteur du spectacle en associant métavers et réalité physique au sein d’une manifestation d’envergure consistant en divertissements musicaux. Y participaient pas moins de seize groupes, dont le girls’ band virtuel ISEGYE IDOL, des YouTubers virtuels et d’autres artistes, tant virtuels que réels, que quelque 20 000 visiteurs étaient venus acclamer sur le site, mais aussi dans les cinémas où l’événement était retransmis en direct. Au total, le taux d’occupation des sièges a dépassé 95% et les spectateurs ont témoigné leur enthousiasme lors des discussions qui se sont ensuivies.
Le succès du boys’ band virtuel PLAVE ne devait rien au hasard, puisque le premier album qu’il a enregistré il y a tout juste un an, sous le titre ASTERUM: The Shape of Things to Come s’est écoulé à plus de 200 000 exemplaires en une semaine dès sa sortie. Un deuxième opus intitulé ASTERUM: 134-1 allait connaître un succès plus grand encore en se vendant à près de 570 000 exemplaires, ce qui représente un record pour un groupe de garçons virtuel et lui a permis de se classer dix-septième de cette catégorie.
À la fin de cette même année, le public allait également lui témoigner son soutien lors d’une campagne lancée en vue du financement du webtoon Magical girl Isegye Idol de Tumblebug, une plateforme participative très utilisée en Corée. Alors qu’au départ, elle s’était fixé pour objectif de réunir vingt millions de wons, la somme de 2,5 milliards allait être atteinte en à peine vingt-quatre heures, puis passer à près de 4,2 milliards de wons au bout d’un mois et battre ainsi tous ses précédents records.
En septembre 2023, ISEGYE IDOL a fourni une remarquable prestation lors du Festival ISEGYE, premier spectacle musical à avoir allié avec succès réalité et métavers.
© Parable Entertainment
Les idoles du virtuel
S’agissant de « réalité virtuelle », le public coréen se souvient peut-être du cyber-chanteur Adam, dont les débuts couronnés de succès en 1998 étaient révélateurs de l’atmosphère qui régnait en cette fin de millénaire. Lancé deux ans plus tard, le girls’ band æspa se composait à l’origine de quatre artistes réelles et de leurs doubles virtuels, puis, en 2021, c’était au tour de l’influenceuse virtuelle Rozy de charmer le public par son physique étonnamment réaliste produit au moyen de technologies de pointe.
Par rapport à leurs homologues antérieurs de type humain, les idoles virtuelles d’aujourd’hui ont considérablement évolué et se divisent en deux grandes catégories selon qu’elles recourent à l’animation ou à la reproduction en 3D. Tandis que les premières étaient réalisées à partir d’images réelles, celles de la dernière génération sont constituées de personnages stylisés.
L’animation d’images réelles effectuée au moyen de techniques graphiques était une tâche particulièrement chronophage, outre qu’elle comportait le risque d’engendrer le phénomène, dit de la « vallée dérangeante », par lequel une trop grande ressemblance avec l’homme peut susciter une réaction de rejet.
Les trois groupes qui se sont produits au grand magasin Hyundai Seoul, bien que créés à partir de personnages existants, se distinguent par une physionomie propre dont la réalisation est particulièrement réussie dans le cas d’ISEGYE IDOL et de PLAVE. Quoique tous deux soient désignés par le terme générique d’idoles virtuelles, le premier met l’accent sur sa dimension « virtuelle » et le second, sur celle d’« idole ».
Les membres du groupe ISEGYE IDOL sont dits « Vtubers », c’est-à-dire des YouTubers virtuels, au sens conféré par le support, à savoir qu’ils sont en mesure de diriger leur carrière sous tous ses aspects, de leur formation à la gestion, en passant par les spectacles et manifestations en public. Étant issus d’une compétition, ils illustrent par cette origine le lien nouveau qui unit toujours plus le virtuel à l’idole dans l’industrie musicale.
Le groupe PLAVE, hormis pour ce qui est de l’apparence virtuelle de ses membres, s’apparente quant à lui à un boys’ band classique par la manière dont il fonctionne, à savoir qu’il produit des albums et participe à des émissions de télévision ou de radio. En outre, il communique avec ses fans par des appels en visioconférence et crée des contenus en direct : autant de possibilités de tisser des liens avec son public. Enfin, l’agence artistique qui dirige sa carrière ayant été créée à l’intention de tels personnages virtuels, il en résulte une synergie plus favorable à cette interaction entre humains et personnages virtuels.
Quel avenir pour les idoles virtuelles ?
Au fur et à mesure qu’elle évolue, la technologie ne manquera pas de rendre les artistes virtuels toujours plus convaincants et, peut-être, de se dispenser de la présence dans les coulisses des interprètes réels des chansons et danses. Ces futures idoles virtuelles seront aussi capables d’innovation dans les relations qu’elles entretiennent avec leurs fans, un accès direct et rapide constituant un facteur essentiel de succès. De plus, l’intelligence artificielle leur permettant de s’exprimer en langue étrangère et de garder en mémoire leurs précédentes communications de manière personnalisée, ces liens avec leurs admirateurs du monde entier ne pourront que s’en trouver renforcés.
Il convient aussi de souligner que le recours à l’IA peut entraîner une importante réduction de coût pour les entreprises du secteur dans la mesure où il se traduit par l’économie de plusieurs années de formation et de préparation des idoles. Quant aux artistes virtuels eux-mêmes, ils ne seront guère susceptibles d’annuler leurs concerts ou de subir une baisse de leurs revenus suite à des maladies, scandales ou autres problèmes personnels.
Cependant, on ne saurait déduire de ce qui précède que les idoles virtuelles sont amenées à remplacer complètement les artistes humains, nombre de fans manifestant une nette préférence pour ces derniers, et l’industrie du spectacle continuera donc de faire appel aux uns ou aux autres, voire à l’association des deux.