Ces temps-ci, les sex-shops coréens sortent de l’ombre des petites rues pour se transformer en d’agréables espaces de convivialité qui ont pignon sur rue dans les quartiers commerçants et dont les jeunes gérants échangent dans ce domaine sans la moindre honte avec leurs clients.
Parmi les villes européennes que j’ai visitées en 1995, je dois avouer que Paris et Londres ne m’ont pas fait une grande impression, contrairement à Amsterdam ! En partant pour les Pays-Bas, je ne m’attendais à trouver guère plus que les tulipes et moulins à vent dont j’avais entendu parler à l’école, mais, à mon arrivée dans la gare centrale d’Amsterdam, j’ai découvert avec étonnement d’énormes godemichés qui pendaient du plafond et une quantité impressionnante de revues pornographiques alignées sur les présentoirs des marchands de journaux.Jamais je n’aurais cru qu’il soit possible d’exposer ces accessoires intimes à la vue de tous, mais je n’étais pas au bout de mes surprises ! En me promenant le long des canaux, j’ai remarqué plusieurs belles femmes blondes très maquillées, pourvues de longs faux-cils et chaussées d’escarpins à talon aiguille, mais, en les croisant, j’ai compris, à la vue de leur musculature, qu’il s’agissait en fait d’hommes. Sur le moment, j’en ai été si choquée que je me suis promis de ne plus jamais remettre les pieds dans cette ville digne de l’Enfer de Dante.Aujourd’hui, je n’aurais de toute façon pas besoin de faire le voyage pour m’instruire dans ce domaine, car j’habite désormais en face d’un sex-shop dont la devanture, à première vue, ferait plutôt penser à une boutique de produits de beauté ou même à une simple épicerie. Loin d’être chose rare dans la capitale, les magasins de ce type prolifèrent actuellement dans des quartiers tels que celui de l’Université Hongik, qui est le plus fréquenté de Séoul, mais aussi dans des endroits très chics de la rive gauche comme Gangnam ou Garosugil.Curieuse d’en savoir plus sur cette nouvelle tendance, je me suis adressée aux jeunes collaborateurs d’une vingtaine d’années qui travaillent pour une émission que j’anime. L’un d’entre eux m’a appris que les gens de sa génération avaient l’esprit « très libre » en matière de mœurs sexuelles et qu’il leur arrivait souvent d’afficher sur les réseaux sociaux des photos de leur couple en train de s’embrasser ou de s’étreindre, voire certaines parties de leur anatomie, cette pratique nouvelle répondant à une volonté d’être au centre des attentions.
Devanture d’un sex-shop très apprécié des jeunes. Par son aspect comme par son emplacement à l’entrée de Yeonnam-dong, un quartier très fréquenté de la capitale, cet établissement diffère grandement de ses prédécesseurs aux rideaux tirés qui se cachaient au fond d’une ruelle.
Une découverte en toute convivialité
Les images d’intérieurs de sex-shops ne manquent certes pas sur Internet, mais j’ai voulu voir par moi-même à quoi ils ressemblaient vraiment. Hormis le contrôle d’identité et les caméras de surveillance de l’entrée, ces dernières servant uniquement à prévenir les cambriolages, une fois sur les lieux, je n’ai guère constaté de différence par rapport aux commerces habituels, tout étant fait pour éviter au client de ressentir une quelconque gêne.
Ce sex-shop tiendrait presque de la boutique de produits de beauté par sa vitrine aux nombreux produits mis en valeur par un vif éclairage.
Comme la plupart des sex-shops actuels, celui où je me suis rendue comportait plusieurs pièces consacrées à la présentation de certains produits, comme le feraient les rayons d’un magasin de bricolage, et j’ai appris que quelques-uns possédaient même un studio photo à l’intention des clients qui souhaitent prendre des selfies et diffuser des photos personnelles accompagnées de commentaires concernant leurs achats.Sur les quatre étages de cet immeuble qui aurait tout aussi bien pu abriter un magasin de meubles, évoluait une clientèle jeune et manifestement enthousiaste chez qui l’image obscène de la sexualité a cédé la place à une vision inspirée par la joie de vivre. Il n’y avait d’ailleurs rien de mal à cela, car on ne saurait reprocher à des gens de cet âge de vouloir fréquenter ces établissements pour y discuter de leurs goûts et découvrir des produits qui puissent les satisfaire au mieux. Godemiché en main, comme s’il tenait un micro, un créateur de contenus se joignait aux vendeurs pour parler de certains articles :-La cire de cette bougie parfumée fond à basse température, soit environ 40°C, ce qui permet d’en faire couler des gouttes sur le corps de votre partenaire.-Mais ne va-t-elle pas durcir au contact de la peau ?-C’est précisément ce qui plaît le plus dans ce produit très tendance.Passant ensuite au sujet des préservatifs, le jeune homme explique que la plus grande finesse en est attendue en Asie. Il précise que ceux composés de polyuréthane, une matière supérieure au latex, s’avèrent très sûrs tout en garantissant plus de plaisir, puis il conclut en mettant son auditoire en garde contre les rapports non protégés.En poursuivant mon chemin, quelle n’a pas été ma surprise de voir des clients essayer sur place différents gels, après quoi ils se lavaient avec un produit nettoyant ! J’ignorais aussi qu’il existait des préservatifs « bio » exempts de conservateurs tels que le parabène, ainsi que des gels composés d’ingrédients issus de l’agriculture biologique.Dans un coin discret éclairé par une lumière tamisée, étaient disposés fouets, menottes et vêtements très apprêtés qui n’étaient pas sans intérêt et m’ont paru moins incongrus que je ne l’aurais imaginé s’agissant de tels articles. Autant de produits dont les clients s’empressent de parler sur les réseaux sociaux, de même qu’ils formulent des commentaires sur l’ensemble d’un magasin. Dans le commerce en ligne, les internautes pourront aussi se procurer des jeux de société pour adultes auxquels ils pourront jouer avec des cartes et dés, ces derniers ayant la curieuse particularité d’être lumineux pour rester visibles dans l’obscurité !
Intérieur d’un sex-shop franchisé du quartier de Sinchon situé à Séoul. Tandis que les clients de ce type de commerce s’y rendaient autrefois seuls et un peu honteusement, ceux d’aujourd’hui, plus jeunes, n’hésitent pas à les fréquenter en couple ou avec des amis pour se distraire ou acheter sans hésitation les produits qu’ils ont essayé sur eux.
Illusion ou plaisir surfait ?
Dans un ouvrage paru en 2007 et intitulé Schattenliebe: Nie mehr Zweite(r) sein, c’est-à-dire « l’amour des ombres ou comment n’être jamais le second », qui traite des aspects psychologiques de l’adultère, les spécialistes autrichiens Gerti Senger et Walter Hoffmann soulignent que ceux qui sont coutumiers des sites de sexe en ligne ne font en réalité qu’explorer leur propre subconscient, même s’ils refusent de le reconnaître, car l’usage que chacun fait de l’Internet est révélateur de ses véritables motivations.Quoi de plus vrai ? Si les sex-shops se montrent aujourd’hui au grand jour, les sites Internet consacrés au sexe fonctionnent pour une large part de manière souterraine. Le fait d’exposer sainement sa sexualité ou, au contraire, de la dissimuler comme quelque chose d’obscène procède de causes profondes liées au subconscient, alors ce que l’on veut bien dire dans ce domaine ne constitue pas forcément une vérité.Les couples mariés semblent ainsi enclins à exagérer en paroles la fréquence de leurs rapports sexuels, l’absence de ces relations représentant à leurs yeux le principal motif de mésentente, comme en attestent les recherches effectuées sur le moteur Google à ce propos, 3,5 et huit fois plus nombreuses que celles portant respectivement sur les mots clés « mariage malheureux » ou « mariage sans amour ».Le scientifique américain de renommée mondiale Seth Stephens-Davidowitz affirme, dans son livre Everybody Lies: Big Data, New Data, and What the Internet Can Tell Us About Who We Really Are (2018), que l’importance de la sexualité tend aujourd’hui à être surfaite, en dépit de quoi le fait que les jeunes se précipitent sur leurs réseaux sociaux au saut du lit pour y diffuser des images et films à caractère sexuel traduit une évolution des mentalités sur la question de la vie privée.
Parfum aux phéromones et compléments de sérotonine auront-ils leur place dans la trousse de maquillage des femmes ?
Les produits proposés par ces commerces comportent nombre d’articles de fantaisie conçus avec le concours d’artistes typographes ou de dessinateurs de BD et dessins animés pour attirer les collectionneurs.
Quel avenir ?
Il y a quelques années de cela, je dînais en compagnie de jeunes gens et, quand l’épilation de type « maillot brésilien » a été mentionnée au hasard de la conversation, mes convives ont émis l’idée que cette pratique était liée à l’attrait des nouvelles générations pour le sexe. L’un d’eux, pour avoir longtemps vécu à l’étranger, avait constaté que nombre d’Occidentaux jugeaient inconvenant de ne pas s’épiler, la notion d’hygiène semblant ainsi avoir changé dans ce qu’elle recouvre. Il en va de même de l’impression que l’on peut ressentir en sortant pieds nus, l’été, lorsque ses ongles d’orteils sont peu soignés.D’aucuns prévoient qu’un recours croissant à la réalité virtuelle ne pourra qu’inciter à consommer toujours plus de produits de l’industrie pornographique, telles ces poupées gonflables dont la Cour suprême a autorisé l’importation en juin dernier par une décision qui a provoqué un tollé.Il n’est guère aisé de se faire une idée des pratiques sexuelles de demain. Parfum aux phéromones et compléments de sérotonine auront-ils leur place dans la trousse de maquillage des femmes ? Les médecins pourront-ils prescrire aux couples d’âge moyen des traitements à base de kisspeptine, cette hormone cérébrale que sécrète l’homme à la puberté lorsque sa libido parvient à son apogée ?Dans la mythologie gréco-romaine, le vin représentait l’élixir d’amour qu’il demeura par la suite jusqu’à l’invention du Viagra en 1998, d’où l’on peut en déduire que l’étape ultérieure portera sur le passage de celui-ci à une nouvelle forme qui sera de nature « mentale » ou « cérébrale ». Toutefois, les hypothèses les plus vraisemblables sont susceptibles d’être démenties par le rythme d’évolution fulgurant des modes de vie humains et ne suis-je pas moi-même revenue sur ma promesse en repartant plusieurs fois pour cette ville d’Amsterdam dont j’ai fini par tomber amoureuse ?