Port fluvial situé au cœur de la péninsule coréenne, Yeoju représente un important nœud de transport maritime et un centre de l’industrie de la céramique, ainsi qu’une région rizicole à la production réputée.
Située à Yeoju, une ville de la province de Gyeonggi, la forteresse de Pasa permet de contempler le vaste paysage du Namhangang et de ses montagnes environnantes. Édifié à la fin de la première moitié du VIe siècle, pendant la période des Trois Royaumes, et plus exactement sous celui de Silla, cet ouvrage défensif de 950 mètres de circonférence, permettait, du haut de ses murs de 6,5 mètres de hauteur, d’apercevoir les assaillants dès qu’ils approchaient du fleuve.
A u début des années 1990, les lecteurs coréens allaient réserver un accueil enthousiaste au premier tome d’un ouvrage intitulé À la découverte du patrimoine culturel coréen. Dû à l’historien de l’art Yu Hong-juin, ce texte brillamment écrit, mais non moins accessible au plus grand nombre, allait être le premier à se vendre à plus d’un million d’exemplaires dans le domaine des sciences humaines et, ce faisant, réveiller la passion des Coréens pour leur patrimoine culturel. Dans un huitième tome édité par la suite, l’auteur présente deux itinéraires de visite à emprunter impérativement pour découvrir en une journée les principales richesses naturelles et culturelles du pays, la ville de Yeoju, qui se situe à une heure de route de Séoul, figurant parmi ces deux parcours possibles.
Yu Hong-juin y justifie ce choix par la présence du temple de Silleuk, quintessence de la sérénité qui règne dans les sanctuaires bouddhiques coréens, et de celui de Godal, où sont demeurés jusqu’à nos jours les témoignages d’un passé ancien, dont les tombes empreintes d’une digne solennité qui abritent la dépouille mortelle des rois Sejong et Hyojong, puis il évoque les beautés du panorama qu’offre au regard ce « fleuve du sud » qu’est le Namhan : autant d’attraits qui allaient inciter la chaîne CNN, sur son site CNN GO consacré à l’Asie, à classer cet édifice parmi les cinquante lieux les plus superbes que compte la Corée.
Si les deux temples en question attirent nombre de touristes étrangers, le public coréen semble en avoir oublié le charme pour les avoir très souvent vus et les lecteurs du livre de Yu Hong-juin ne font pas exception à la règle en dépit des qualités architecturales qu’il met en exergue au sujet de ces constructions. Pourquoi l’auteur a-t-il privilégié cette ville au détriment de lieux tout aussi chargés d’histoire et plus pittoresques encore ?
Des paysages en filigrane
Ce Bouddha debout de 223 cm de hauteur et de 46 cm de largeur fut sculpté au flanc de la falaise bordant le Namhangang sous le royaume de Goryeo (935-1392), qui avait perpétué le style des œuvres réalisées sous le règne des souverains de Silla unifié (676-935), comme en témoigne le raffinement de détails du drapé, du piédestal et du halo en forme de fleur de lotus.

Élevée à même les rochers qui bordent les jardins du temple, la pagode en brique du temple de Silleuk permet d’admirer le Namhangang situé en contrebas. Cet édifice d’une hauteur de 9,4 mètres, qui a été classé Trésor n°226, a vraisemblablement subi l’influence des techniques chinoises de construction en brique introduites en Corée au Xe siècle environ.© Agence de presse Yonhap
Dès le premier contact avec la médecine orientale, les praticiens occidentaux se disent souvent surpris de constater que ses représentations de l’anatomie humaine ne comportent qu’une très faible partie de la musculature, car s’en tenant à indiquer les points d’acupuncture et les flux du gi, cette énergie vitale que les Chinois appellent qi.
Selon le médecin et écrivain mexicain Francisco Gonzalez-Crussi, ces visions du corps humain qui diffèrent, de même que celles du monde, révèlent, chez les Occidentaux, une volonté de le présenter dans sa complexité par le biais de ses moyens d’action que constituent les muscles, tandis que les Orientaux cherchent à y interpréter les pulsations des vaisseaux sanguins, aussi involontaires qu’invisibles, et pourtant indispensables aux moindres mouvements. Peut-être cette idée est-elle à placer en parallèle avec la démarche suivie par Yu Hong-juin en s’intéressant à « l’énergie invisible » de la nature et du patrimoine culturel coréens plutôt qu’à leurs « muscles ».
Dans la spiritualité coréenne, la terre est appréhendée par le biais de la géomancie désignée par l’ pungsu jiri, dont les vocables correspondent à ceux de feng shui en chinois et se traduisent respectivement, de manière littérale, par « vent et eau » et « compréhension de la terre ». Or, cette divination par le pungsu n’est possible qu’après avoir acquis la connaissance du gi, cette notion qui ne possède pas d’équivalent précis dans la culture occidentale et que la philosophie orientale définit comme la source ou l’origine de la vie de toute matière pourvue d’une forme, l’étude de cette énergie cachée dans les entrailles de la terre étant constitutive du pungsu.
La prospérité d’un petit port fluvial
Yeoju et Séoul présentent bien des points communs, à commencer par le Han, qui les baigne toutes deux sur son cours s’étirant d’est en ouest au centre de la péninsule coréenne, ainsi que par leurs belles étendues de montagnes. À partir de la capitale, un voyage d’une journée suffit pour gagner Yeoju par ce même fleuve qui permit, en d’autres temps, de transporter tout aussi rapidement jusqu’à la première le célèbre riz de la région, le sel, le poisson en saumure dit jeotgal et les fruits de mer frais pêchés dans la mer de l’Ouest.
Sous le royaume de Goryeo (918-1392), déjà, les céréales de l’impôt étaient acheminées par ce même moyen et Yeoju fournissait une escale aux bateaux qui en étaient chargés, ainsi qu’aux navires de commerce, tandis qu’intellectuels et fonctionnaires éclairés y élisaient domicile. Quand le royaume de Joseon (1392-1910), à son avènement, prit pour capitale la ville de Hanyang, qui est l’actuelle Séoul, Yeoju attira tout ce que le pays comptait d’hommes de pouvoir et d’influence, ce qui renforça considérablement son rôle politique et culturel. Sur l’ensemble de cette période, plus d’un cinquième des épouses royales furent originaires de Yeoju, les pagodes et autres monuments historiques classés « Trésors nationaux » ou « Trésors » s’y concentrant quant à eux plus que dans aucune région du pays.
Si le commerce fluvial présentait l’avantage d’un mode de transport simple et rapide, il n’en comportait pas moins certains risques d’accidents pouvant entraîner la perte de marchandises ou de vies humaines. La pratique de la prière était donc répandue chez les bateliers pour implorer la protection divine et explique que les deux sculptures de bouddhas les plus anciennes réalisées sur des falaises bordant des cours d’eau coréens l’aient été sur le cours du Han. L’une d’elles se trouve non loin de l’ancien port fluvial de Geumcheon situé dans la commune de Changdong-ri, qui fait partie de l’agglomération de Chungju, cette ville du centre du pays, et l’autre, au lieu-dit de Bucheoul appartenant à la commune de Gyesin-ri, un peu en amont de l’ancien port fluvial de Yeoju nommé Ipo.Si les deux rochers ornés de ces figures diffèrent par leurs dimensions, forme et composition minérale, leurs sculptures présentent pareillement le style caractéristique du royaume de Silla Unifié (676-935), qui fut perpétué par celui de Goryeo, lequel avait succédé à ce dernier. Sur les bateaux qui passaient devant elles, passagers et mariniers devaient lever les yeux vers les divinités en les priant de faire qu’ils arrivent à bon port.
Alors que la plupart des temples bouddhiques coréens s’accrochent aux versants des montagnes, dans le cas de celui de Silleuk, la proximité d’un fleuve a présidé au choix de son emplacement. De l’édifice d’origine, ne subsiste aujourd’hui qu’une pagode en brique qui dresse sa silhouette sur une avancée rocheuse dominant le Han.
Des céladons et une pagode en brique
Datant, selon toute vraisemblance, du règne du roi Jinpyeong (r. 579-632), l’un des souverains du royaume de Silla, le temple de Silleuk est apprécié pour l’impression de quiétude qui s’en dégage. Plusieurs œuvres situées dans son enceinte bénéficient du titre de trésor octroyé par l’État, notamment une lanterne en pierre, une pagode en brique et la Salle des trésors du Paradis.
Alors que la plupart des temples bouddhiques coréens s’accrochent aux versants des montagnes, dans le cas de celui de Silleuk, la proximité d’un fleuve a présidé au choix de son emplacement. De l’édifice d’origine, ne subsiste aujourd’hui qu’une pagode en brique qui dresse sa silhouette sur une avancée rocheuse dominant le Han. Si le grand pavillon d’un temple en constitue de nos jours le point central, la pagode l’était jadis, autour de laquelle se répartissaient les autres constructions.
Le Han possédant un important débit malgré la faible largeur de son lit, par rapport à tous les cours d’eau du sud de la péninsule, il entrait souvent en crue pendant la saison des pluies.
À un endroit particulièrement accidenté de son cours où nombre de bateaux firent naufrage, se dresse une haute falaise sur laquelle fut édifiée la pagode en brique du temple de Silleuk afin d’attirer l’attention des navigateurs sur les périls du lieu. Le choix de son emplacement obéissait au principe du bibo par lequel la géomancie s’efforce de remédier aux inconvénients d’un lieu. Si rochers et montagnes représentent les muscles de la terre, alors les fleuves en sont les vaisseaux sanguins et, en prenant place sur la falaise, la pagode devait en faire disparaître l’énergie négative tout en purifiant le « sang » du cours d’eau. d’eau. Aujourd’hui, cette vocation semble oubliée de tous, tout comme la petite pagode qui se dissimule derrière le Gangwolheon, ce « pavillon de la rivière et de la lune ».
Jusqu’à l’époque de sa construction, les pagodes en brique étaient chose rare en Corée, leur usage n’étant pas répandu, mais il en fut autrement quand le royaume de Silla entreprit d’envoyer des moines en Chine pour qu’ils s’y informent de l’évolution récente du bouddhisme. À leur retour en Corée, ceux-ci y introduisirent nombre d’aspects de la culture et du mode de vie pratiqués sous la dynastie des Tang, dont l’édification de pagodes en brique.
Le four à briques de style chinois qui fut construit au voisinage du temple de Silleuk date de la seconde moitié du Xe siècle, c’est-à-dire de la période du royaume de Goryeo, et fut donc édifié à peu près à la même époque que ce sanctuaire. En l’observant, on imagine la venue de ces potiers chinois qui franchirent la mer de l’Ouest pour veiller à la construction d’une pagode de Goryeo et former les artisans du pays qui allaient mener à bien ce chantier. Des arabesques gravées sur les briques de l’édifice et dites dangcho, à savoir, littéralement, l’« herbe des Tang », témoignent de cet épisode de l’histoire.
L’introduction du four à briques favorisa également l’essor de la fabrication du céladon, cette porcelaine vert jade caractéristique de Goryeo dont un envoyé de la dynastie des Song nommé Xu Jing fit l’éloge en 1123 dans l’ouvrage intitulé Goryeo dogyeong, ou Gaoli tujing en chinois, c’est-à-dire « relation illustrée de Goryeo ». Ces fours à briques chinois, qui se concentraient dans la province de Gyeonggi limitrophe de la capitale, furent peu à peu transformés par les potiers de Goryeo pour cuire l’argile selon les techniques du pays. Renonçant à la méthode chinoise de cuisson d’une seule traite et à très haute température, ils prirent l’habitude d’effectuer cette opération en deux temps et leur nouvelle façon de procéder prit valeur de norme sur tout le territoire. Partout où se trouvait de l’argile, cette évolution allait permettre de se consacrer à une production de céramique qui allait accroître la diffusion des articles de céladon de Goryeo de haute qualité. Au fil des siècles, ces fabrications traditionnelles se sont poursuivies jusqu’à nos jours et quelque quatre cents ateliers de poterie sont actuellement en exploitation dans la région de Yeoju.
Occupant près de six hectares, l’enceinte du temple de Godal donne une idée des dimensions et du rôle importants qui furent ceux de ce sanctuaire qui allait disparaître après avoir connu la prospérité pendant des siècles, suite à son édification au cours de la seconde moitié du VIIIe siècle, comme en attestent les trésors artistiques qui sont parvenus jusqu’à nos jours, notamment deux stupas d’une exécution délicate.
Quand la terre respire
Classé Trésor national n°4, ce stupa en pierre de 4,3 mètres de hauteur se dresse sur la petite colline à laquelle s’adosse le temple de Godal. Réalisée sous le royaume de Goryeo, cette œuvre est réputée pour l’élégance de ses lignes et pour l’art achevé avec lequel ont été sculptées ses figures de dragon etde tortue.
Pour gagner Séoul à partir de Yeoju, il fallait dans tous les cas compter deux journées pleines de marche par les routes qui longeaient les rives droite ou gauche du Han.
La première et la plus ancienne, puisqu’elle remontait à la période des Trois Royaumes (57 av. J.-C.-668 ap. J.-C.), desservait temples et villages à partir du Namhan tout en assurant le prolongement du transport fluvial. Du haut des murs de la forteresse de montagne de Pasa, le promeneur embrasse du regard le spectaculaire paysage du fleuve et de sa vallée. Au sud, il apercevra le pont suspendu d’Ipo qui enjambe ce cours d’eau s’étirant à perte de vue en direction de l’ouest, tandis qu’au nord, il lui suffira d’observer les cimes du mont Taebaek qui se dressent à l’horizon pour comprendre le choix de l’emplacement de cet ouvrage défensif et imaginer l’âpre combat qu’y livrèrent entre elles les armées des Trois Royaumes de Goguryeo, Baekje et Silla. Cet axe routier fut aussi témoin du passage de deux monarques de Goryeo qui l’empruntèrent, à savoir Mokjong (r. 997-1009) et Gongmin (r. 1351-1374), le premier, après avoir été renversé, ayant trouvé refuge à Chungju, tandis que le second, fuyant l’invasion des Turbans rouges, finit par s’établir à Andong.Sur l’itinéraire de visite qui lui est proposé, le voyageur découvrira aussi les vestiges monumentaux du temple de Godal, ce sanctuaire adossé au mont Hyemok et aujourd’hui encore tout enveloppé de l’aura que lui confère l’histoire. Sous le royaume de Goryeo, son enceinte s’étendait, aux quatre points cardinaux, sur pas moins trente li, soit environ douze kilomètres, et accueillait les moines par centaines, l’ampleur de cet effectif révélant à quel point il bénéficiait de privilèges et soutiens accordés par la cour royale de Goryeo. Les historiens avancent l’hypothèse selon laquelle les imposantes dimensions de ce sanctuaire causèrent sa perte, puisque, après la chute du royaume de Goryeo, celui de Joseon, qui lui succéda à la fin du XIVe siècle, le priva des aides et faveurs qui lui étaient indispensables.
Le temple de Godal a conservé jusqu’à nos jours de magnifiques spécimens d’art bouddhique tels que plusieurs pagodes en pierre et stupas, dont le célèbre Stupa du temple de Godal orné de sculptures particulièrement élaborées qui lui ont valu d’être classé Trésor national n°4. Outre leurs qualités esthétiques, les pagodes revêtirent une dimension politique aux yeux de la population dans la mesure où leur construction procéda d’une volonté d’affirmer l’autorité royale en recourant à l’énergie qui émane de la terre.
Aujourd’hui, s’il est fort peu probable que le visiteur découvre le moindre vestige de la grandeur passée de ce temple, il ne manquera pas de ressentir une chaleureuse impression de bien-être et de réconfort en entendant souffler le vent frais au gré d’une promenade sur les collines avoisinantes.
L’œil de la sagesse
Tombe de la reine Inseon située en contrebas de celle du roi Hyojong (r. 1649-1659), souverain de Joseon, et son pourtour de statues en pierre. Outre ces sépultures, le site de Yeongnyeong comporte celle, commune, du roi Sejong (r. 1418-1450) et de la reine Sohyeon située dans l’enceinte ouest, ainsi que celle, double, cette fois, du roi Hyojong et de la reine Inseon inhumés dans la partie est de ce site encore tout imprégné de la digne solennité qui seyait aux tombes royales de Joseon.
La fameuse route du sud, qui descendait jusqu’à Yeoju à partir de la capitale, ne constituait qu’une partie du réseau routier reliant cette dernière à Dongnae, l’actuelle Busan, sous le royaume de Joseon. C’est par cette artère que le roi Sejong (r. 1418-1450) se rendait à Yeoju, lieu de résidence de ses grands-parents maternels, ainsi que ses successeurs qui allaient se recueillir sur sa sépulture et sur celle du roi Hyojong (r. 1649-1659). La tombe du roi Sejong fut quant à elle déplacée de son emplacement d’origine situé à Gwangju, une ville de la province de Gyeonggi, à celui de Yeoju jugé plus propice au repos de l’âme du souverain.
À faible distance de ce lieu connu sous le nom de Yeongneung, fut édifié le pavillon de Yeongwollu, c’est-à-dire « de l’accueil de la lune », qui offre sur le Han une vue réputée pour sa beauté. En contrebas, le promeneur verra s’étendre à l’ouest tous les quartiers du centre de Yeoju, tandis qu’en dirigeant son regard vers le nord, il apercevra les montagnes qui se profilent à l’horizon, par-delà l’autre rive du fleuve, dont le mont Hyemok qui s’élève en surplomb du temple de Godal, l’ensemble composant un paysage digne d’un tableau ancien. S’agissant de ce dernier sommet, il convient de préciser qu’il tire son nom d’un terme bouddhique signifiant « œil de la sagesse ». Dans le Sutra de l’illumination parfaite, il est fait mention des âmes pures et de leur « œil de la sagesse » qui reste limpide et serein, même à l’abri d’une ombrelle. Quelle que soit la hauteur à laquelle on s’élève, le corps et l’esprit n’en prennent pas moins la mesure, alors serais-je moi-même bien loin d’avoir acquis cet « œil de la sagesse » que confère la pureté de l’âme ?
1 Pont d’Ipo2 Parc de la céramique « Yeoju Ceramic World »3 Ancien embarcadère4 Lieu de naissance de l’impératrice Myeongseong