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On the Road > 상세화면

2017 SUMMER

Les cheminsde l’utopie

Chungju et Danyang abondent en paysages pittoresques aux spectaculaires falaisesplongeant sur les rives du Namhan, ce fleuve qui arrose le centre de la Corée. La premièrerenferme en son coeur le Trésor national n°6 appelé Jungangtap, c’est-à-dire la « tourcentrale », qui constitue l’un des vestiges de l’État de Silla, artisan de l’unité des TroisRoyaumes au VIIe siècle, mais aussi, aujourd’hui encore, le centre géographique de la nation.

Appelée Jungangtap, c’est-à-dire la « tour centrale »,cette pagode en pierre à sept étages datant de lapériode de Silla Unifié s’élève à Chungju, une villede la province du Chungcheong du Sud qui se situeaujourd’hui dans le centre du pays.

Il tombe une petite pluie.

À la sortie de l’autoroute, je prends la route qui mène à Jungangtap-myeon, le pays de laTour centrale de Chungju, et me gare sur le bas-côté. J’inspire profondément, ce qui est mamanière à moi de dire bonjour en pensée à un village avant d’y entrer, comme à mon habitudedepuis que je voyage. Je me sens apaisé à l’idée d’y trouver des traces de la vie de ceux qui s’ysuccédèrent au fil des générations, avec leurs joies et peines, chagrins et désirs, rêves et désespoirsvoletant encore dans cet air qui est pour moi depuis toujours le plus précieux héritageculturel d’une ville.

Les habitants de Chungju aiment encore à l’appeler Jungwon, un toponyme signifiant« région centrale » parce qu’elle se rattachait administrativement au canton éponyme jusqu’à1995 et qu’ils tirent fierté de leur situation géographique et de leur rôle historique centraux dansle pays. Quelques jours suffiront pour s’en convaincre, à la vue des pagodes et autres monumentsanciens qui témoignent du riche passé de cette ville construite dans des temps ancienssur les berges du Namhan.

Une terre de guerriers

À mon arrivée sur les lieux, mes visites commenceront par un hommage au royaume deGoguryeo que je rendrai devant l’un de ses vestiges portant aujourd’hui la dénomination officiellede Monument de Goguryeo de Chungju, bien que la population en parle souvent commede celui de Jungwon. Cette stèle de pierre est la seule à être parvenue de cette lointaine époquejusqu’à nos jours, puisque son origine est située à la fin du Ve siècle. Fondé dans ce qui étaitalors la Mandchourie et qui constitue l’actuelle Chine du Nord-Est, cet État étendit par la suiteson territoire vers le sud jusqu’au centre de la péninsule. Selon une partie des inscriptions gravéessur ce monolithe : « Goguryeo et Silla furent comme frères et le roi de Goguryeo fit présentd’habits à celui de Silla et à ses fonctionnaires », ce qui témoigne des relations harmonieusesqui unissaient ces deux royaumes anciens.

À Chungju, le Monument à Goguryeo esten son genre le seul vestige de ce royaumeà être parvenu jusqu’à nos jours en Coréedu Sud. Haut de 2,03 mètres, il aurait étéélevé au VIIe siècle.

Non loin du lieu de sa mise au jour, cette stèle est exposée dans une salle aménagée à lamémoire de l’État qui régna sur une grande partie de ce qui est aujourd’hui la Corée du Nord.Dans ce même lieu, une reproduction en images de synthèse permettra aussi au visiteur dedécouvrir la tombe Anak n°3 qui constitue le Trésor national n°28 de la Corée du Nord. Sur lespeintures murales qui ornent cette tombe, figurent en bonne place les gaemamusa, ces « guerriersà cheval de fer » qu’étaient les cavaliersde Goguryeo. Entièrement caparaçonnésde leur armure, tout comme leur monture,ils remplissaient une double missionoffensive et défensive en menant des incursionsen territoire ennemi et en protégeantles avant-postes de leur armée. À son apogée,cette cavalerie aurait compté plus de50 000 de ces chevaux cuirassés qui n’apparurentailleurs que bien plus tard, puisquela chronique historique fait pour la premièrefois état de leur présence en 1221, lors desbatailles qui opposèrent les Persans auxMongols.

Quand, en l’an 668, le royaume de Goguryeofinit par se soumettre à ce voisin deSilla qu’il avait longtemps tenu pour sonvassal et frère cadet, on imagine sansmal les dégradations dont eut à souffrirun tel monument bien visible au beau milieu d’une route. D’aucunspensent que des sujets de Goguryeo fuyant les persécutionsprirent soin de la dissimuler en l’enfouissant dans le sol, tandis qued’autres émettent l’hypothèse qu’elle aurait servi d’enclume deforge. Après des siècles passés à subir coups de marteau et chaleurdes soufflets, ses inscriptions se seraient à tel point déforméesqu’elles devinrent indéchiffrables.

Un symbole d’unité nationale

Je poursuis mon chemin pour aller saluer un deuxième monumentvénérable de ces lieux qui est la pagode en pierre à septétages de Tappyeong-ri, à laquelle les gens de la région donnentparfois le nom de Jungangtap, c’est-à-dire la « Pagode centrale »,de sorte que la désignation administrative du quartier où elle sedresse est maintenant Jungangtap-myeon, ce qui signifie la « villede la Pagode centrale ». Pour célébrer la victoire qu’il remportasur ses deux voisins à l’issue d’une longue guerre, le royaume deSilla jugea bon d’édifier cette construction au coeur de son territoire.Quand j’y parviens à la tombée de la nuit, je décide d’en fairetrois fois le tour, ce chiffre n’ayant d’autre signification que celle desRoyaumes de Silla, Goguryeo et Baekje que m’évoquent les lieux.Tous trois livrèrent des combats acharnés, dans l’espoir d’entrerglorieusement dans l’histoire et de faire triompher leur civilisation,et c’est celui de Silla qui eut raison des autres. En faisant cesquelques pas autour de la pagode, je me sens envahi par la mystérieuseénergie qui en émane.

Comme toujours, je me pénètre des impressions qu’elle crée.Quand je fais le tour de ces antiques monuments, je croiraisentendre la respiration et sentir l’odeur de ceux qui jadis, rêvèrentet chantèrent en le faisant aussi.

De cette route qui longe les rivages dulac de Chungju jusqu’à Danyang, on a unspectaculaire panorama du Namhan. Lebac qui passe sur ce fleuve permet aussid’admirer de près les fameuses « Huit1 vues de Danyang ».

Une symphonie de parfums nocturnes sous la pluie

Pour apprécier à sa juste valeur l’importance géographiqueet historique qui fut naguère celle de cette région, on ne sauraitomettre de se rendre à Tangeumdae, qui évoque la mémoire d’unhomme nommé Ureuk. Sous le règne du roi Jinheung, plus précisémenten l’an 552, il élut domicile au royaume de Silla après avoirquitté le petit État de Gaya dont il était natif et où la musique rituelleoccupait une importante place. Ureuk allait alors fabriquer la premièrecithare à douze cordes, dite gayageum, et composer douzemagnifiques morceaux de musique destinés à son nouvel instrumentdont les douze cordes symbolisaient les mois de l’année. Lesouverain lui en sut gré et lui fit don d’un logement à Jungwon pourqu’il y dispense un enseignement sur les rudiments de la musique.Le nom de Tangeumdae désigne le rocher où Ureuk avait coutumed’aller jouer du gayageum et les sons agréables qu’il en tiraitdoivent s’être alliés merveilleusement à la vue pittoresque qu’offrele cours sinueux du Namhan tout proche. En se disant que de telsmonarques voyaient dans la musique rituelle un moyen de véhiculerl’esprit dans lequel ils gouvernaient, on trouve à cette pratiqueune certaine chaleur humaine. Je me demande quant à moi cequ’est l’utopie, car les grandes valeurs sur lesquelles se fonde la viehumaine ne me semblent guère différentes d’une époque à l’autre.

Chungju possède un marché au charmant nom de Muhak quisignifie « de la grue qui danse » alors peut-être fait-il des marchandset clients qui le fréquentent autant d’oiseaux dansants. Disposéen arête de poisson, il se compose de petites allées transversalesqui s’étendent de part et d’autre d’une voie centrale. À forced’aller de droite et de gauche à partir de celle-ci, je finis par meperdre, mais après tout, il n’y a pas de mal à flâner en un tel lieuau risque de s’égarer, si ce n’est que je ne retrouve plus ma voiture.En poussant un peu plus loin, j’aperçois une maison d’autrefois,dite Banseonjae, qui est en fait celle où passa son enfance BanKi-moon, l’ancien secrétaire général des Nations Unies. Le nomde cette habitation se réfère à l’if que se fixe tout homme de« vivre dans l’honnêteté et la droiture ». Renonçant à parcourirle marché, c’est avec joie que je retrouve ma voiture après deuxheures d’errance qui semblent m’avoir ouvert l’appétit. Je décidedonc de me restaurer dans un établissement aux spécialités denouilles où la serveuse m’apportera gentiment un bol de riz supplémentaire,comme si elle m’avait deviné affamé.

Dans la chambre où je passe la nuit, je laisse la fenêtre ouvertepour écouter la pluie tomber.

Peut-être des voyageurs le firent-ils aussi en d’autres temps,ceux de Silla et de Goguryeo, et peut-être l’un des douze morceauxaujourd’hui disparus que composa Ureuk évoquait-il la pluie quitombe. S’en trouvait-il un pour chanter cette pluie qui fait s’ouvrir les fleurs en pleine nuit ? J’espèrede tout coeur que ce fut le cas. Le lendemain matin, le ciel répand encore ses gouttes, doucement maisinlassablement.

L’Oksunbong tient son nomsignifiant « pic aux poussesde jade » de ses rochersbleus et blancs quisemblent jaillir du solcomme celles-ci etconstituent l’une des « Huitvues de Danyang » les plusappréciées.

Sans la présence de l’homme, le plus beau des paysages paraît souvent inachevé, car dépourvu duvent de l’idéal que seul peut faire souffler l’esprit humain.

That night in my room, I opened the window and listened to therain falling all night.

Back in the days of Silla and Goguryeo, there would also have been those who opened their windows and listened to the rain fall throughout the night. Was there apiece about the rain among Ureuk’s 12 works, of which no trace remains today? A song about the soundof the rain on a night when the flowers bloomed? I dare say there was one. In the morning, the rain keptfalling softly and quietly.

Une rêverie sur le vieux port fluvial

J’emprunte la route n°599 qui longe le fleuve pour me rendre à l’embarcadère de Mokgye. Le plusgrand marché des rives du Namhan s’est tenu des siècles durant dans cette localité à partir de lapériode de Joseon. C’était là que s’échangeaient les marchandises venues de l’Est et de l’Ouest dupays et qu’accostaient, le temps d’une brève halte, les bateaux qui transportaient jusqu’à la capitaleles céréales de l’impôt. Le fleuve était ouvert à la navigation de mars à novembre, mais c’était en juilletet en août que les plus gros navires l’empruntaient, la pluie faisant monter le niveau des eaux. Tandisqu’ils pouvaient gagner Séoul en douze à quinze heures, il leur fallait entre cinq jours et deux semainesau retour du fait qu’ils naviguaient à contre-courant. Sous le royaume de Joseon, les villages situés surles rives abritaient plus de huit cents foyers et les quais du port accueillaient en permanence une centainede bateaux, ce qui donne une idée de l’importance qu’avait alors ce port. Sur une colline voisine, sedresse un monument où est inscrit un poème de Shin Kyung-rim intitulé Le marché de Mokgye.

Le port de Mokgye, qui futle plus important pour letransport de passagerspar voie fluviale sous leroyaume de Joseon, estaujourd’hui l’embarcadèred’un bac emprunté par lestouristes.

Le ciel m’invite à être un nuage,
La terre m’invite à être la brise ;
Une brise légère qui réveille les mauvaises herbes du débarcadère,
Quand les nuages orageux s’éparpillent et que cesse la pluie.
Un colporteur triste, même sous la lumière de l’automne,
Arrive au port de Mokgye, après trois jours de bateau depuis Séoul,
Pour y vendre de la poudre, les quatre et neuf du mois.

Les collines m’invitent à être une fleur des champs,
Le ruisseau m’invite à être un petit caillou.

—Extrait du Marché de Mokgye de Shin Kyung-rim

Quand le bateau parvient à 200mètres en amont de Dodam Sambong,les voyageurs découvrent, surla rive gauche du fleuve, une archeen pierre qui semble enserrer lesflots et l’entrée d’une grotte.

J’ai la chance d’arriver à Mokgye un quatrième samedi du mois, où a lieu le marché des bords dufleuve. Il s’agit d’une sorte de marché aux puces, à la différence près que tous les articles en vente ysont de fabrication artisanale. Parmi les innombrables objets qui me tentent tous autant les uns queles autres, je porte mon choix sur deux magnifiques sceaux que je fais réaliser sur place à mon nom,l’un en alphabet coréen et l’autre en idéogrammes chinois. J’achète aussi du cheonggukjang et dudoenjang , qui sont deux variétés de concentréde soja, la première étant de loin la plusforte, ainsi que de la confiture de citron, unestatuette en bois et un petit sac à main, puisquelques porte-clés achèveront de vider monportefeuille. L’esprit qui anime les artisans tienttout entier dans le mot jeongseong , qui signifie« faire quelque chose en y mettant tout soncoeur ». Ceux qui exercent dans cet esprit sonten général aimables et incapables de faire malà quiconque, alors j’ai la conviction qu’un monde meilleurest possible grâce à eux. L’un de ces marchands meconseille de revenir l’année prochaine en avril, car lesberges du fleuve se couvrent alors de fleurs de colza d’unjaune éclatant.

Un passage en bac sur le lac de Chungju

Je suis à court de mots pour décrire les beautés du paysageque je découvre sur les rivages du lac de Chungju, etce, jusqu’à Danyang, sur une route qui s’étend à perte devue. Toute chose ayant une fin, la pluie fine, qui me réconfortaitjusque-là par sa présence tranquille et semblaitdevoir durer toujours, se fait soudain plus forte quand jeparviens à l’embarcadère du bac de Janghoe. Malgré toutel’envie que j’ai depuis longtemps de faire cette traversée, jedoute que le bac puisse partir, mais à ma grande surprise,les passagers affluent et envahissent le bateau.

J’essaie d’imaginer la vue magnifique que l’on doit avoir sur le lac du haut du Gudambong ou de l’Oksunbong,qui sont respectivement les pics « du Lac de la tortue » et « de la pousse de jade », ces deuxlieux réputés offrir les panoramas les plus spectaculaires de Danyang. Sous le royaume de Joseon, ilsfurent souvent représentés par de célèbres artistes tels que Kim Hong-do ou Jeong Seon, tandis quedes érudits confucianistes comme Yi Hwang affirmaient qu’ils surpassaient par leur beauté les huitmerveilles des fleuves chinois Xiao et Xiang. Aujourd’hui, toutefois, la pluie ne se prête guère à uneescale et je me contente donc de monter sur le pont en m’abritant sous un parapluie.

Le ciel n’est quepluie, brume et nuages épais qui bouchent tristement la vue. Ceci dit, peut-être est-ce trop demanderque d’espérer admirer des vues spectaculaires lors d’un premier voyage, alors il me faudra remettre àune prochaine fois la découverte de ces deux sommets que je brûle de voir depuis que j’ai lu Le bac deMokgye du poète Shin Kyung-rim.

L’île de Dodam Sambong se composede trois sommets qui plongent dansl’eau en amont du Namhan.

Des paysages et des vies

Quand je reprends la route sur les berges du fleuve, les précipitations baissent en intensité et je vois s’étendre à l’horizon les reliefs du Dodam Sambong. Il s’agit detrois pitons rocheux qui émergent de l’eau en amont du Namhan etque l’on découvre à la sortie d’un virage. Isabella Bird Bishop, unecélèbre voyageuse britannique qui fut la première femme à entrer àla Royal Geographic Societey (société géographique royale), se renditdans la région au siècle dernier et en parla en ces termes dansun livre intitulé La Corée et ses voisins :

« La beauté du Namhan est sans pareille à To-tam [Dodam],car le paysage fluvial, le plus gracieux que j’aie jamais vu, s’étendjusqu’à une large baie et à de hautes falaises calcaires entre lesquelless’alignent sur une pente verdoyante de pittoresques maisonsau bas toit brun ».

Les deux éléments du paysage qu’Isabella Bird Bishop avait plusparticulièrement admirés étaient les pittoresques pics de Dodam etles chaumières de la colline. Sans la présence de l’homme, le plusbeau des paysages paraît souvent inachevé, car dépourvu du ventde l’idéal que seul peut faire souffler l’esprit humain. Aujourd’hui,les chaumières d’antan ont cédé la place à quelque serres et maisonsmodernes.

À Dodam, je gravis sur plus de trois cents mètres l’escalieraménagé sur les versants escarpés, puis redescends unecentaine de mètres et découvre un porche en pierre à traverslequel apparaissent les eaux vert bleu du Namhan. Il y a quelquechose de majestueux dans la beauté de cette nature idéale. Jeme demande comment Isabella Bird Bishop se fraya un cheminjusqu’à ces lieux à une époque où les moyens de transportétaient quasi inexistants et me dis que des voyageurs d’aujourd’huiimagineraient mal que l’on puisse se donner autant depeine pour y parvenir. Des lumières se sont allumées dans le villagetout enveloppé de pluie.

 
Gwak Jae-gu Poète
Ahn Hong-beomPhotographe

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