Une vaste pièce aux rares tables et chaises où sont assis quelques enfants compose le tableau d’une salle de classe ordinaire à l’heure où la pandémie de Covid-19 impose de respecter des consignes de distanciation physique.
Voilà encore trente ans, elle aurait présenté un tout autre aspect, car, l’éducation nationale comptant d’importants effectifs, les élèves y prenaient place en grand nombre, serrés les uns contre les autres comme des « pousses de soja dans un pot », mais la douce chaleur qui régnait les consolait de l’inconfort des lieux.
En Corée comme dans tout l’Extrême-Orient, ces pousses, que l’on appelle kongnamul dans la langue nationale, constituent l’un des ingrédients de base de la cuisine et leur culture est donc très répandue depuis des temps anciens. Elle consiste, après en avoir mis à tremper dans l’eau, à les placer dans un gros pot au fond percé de trous que l’on déposera à un emplacement ombragé et, en effectuant plusieurs arrosages quotidiens pendant une semaine, on verra apparaître de longues tiges blanches surmontées d’une graine jaune.
© Ahn Hong-beom
En se développant, la pousse dégagera peu à peu un parfum agréable et, si la quantité de protéines qu’elle renferme baisse insensiblement, sa teneur en fibres, acides aminés et vitamine C ira croissant, alors que ces substances étaient absentes de la graine, de sorte qu’à quantités égales, elle apporte trois fois plus de cette vitamine qu’une pomme. Quant à l’asparagine que contiennent les filaments présents à l’une de ses extrémités, elle possède des vertus qui incitent à confectionner des soupes très appréciées pour soulager les désagréments des lendemains de beuverie.
Ingrédients culinaires peu coûteux, car disponibles en grande quantité, les pousses de soja peuvent être accommodées de différentes manières, à savoir blanchies et assaisonnées pour accompagner le riz, cuites à la vapeur avec ce dernier ou plongées dans une soupe. Dans le petit village isolé de mon enfance, les familles produisaient elles-mêmes presque toutes les denrées nécessaires à leur alimentation et je me souviens encore du clapotis de l’eau tombant dans le pot aux pousses de soja que j’entendais du coin sombre où j’étais assis dans ma chambre, tel un tic-tac d’horloge décomptant le temps écoulé de ma jeunesse. En sortant de l’école, je courais soulever la toile de chanvre qui recouvrait ce récipient et, imitant grand-mère, j’en arrosais le contenu avec une gourde remplie d’eau. Comme il se vidait rapidement ! Et comment les plantes qu’il contenait pouvaient-elles croître aussi vite ?
« La pratique spirituelle participe de nos habitudes. Les actes et paroles que nous reproduisons inlassablement en viennent à faire partie de notre être. Petit à petit, ils permettent de faire grandir la lumière qui éclairera la lampe de l’éveil. Il en va de même de la vie. Comme le soja qui ne pousse que si on l’arrose régulièrement et y parvient quoiqu’il ne reste que très peu au contact de l’eau, ce que nous disons et faisons finit toujours par changer notre destin ». Ainsi parlait le moine principal Dongeun qui dirigeait le temple de Cheoneun.