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Au temps de mon enfance, quand les arbres s’apprêtaient à perdre leurs dernières feuilles rouges, une soudaine effervescence s’emparait de notre maisonnée affairée aux travaux annonciateurs de l’hiver, rapportant du jardin et entassant dans la cour de gros choux aux feuilles et trognon bien fermes. Il fallait alors les trancher en deux moitiés qui faisaient apparaître leur cœur tout jaune, puis placer celles-ci dans de grandes bassines contenant la saumure. Ces préparatifs prenaient l’allure d’une fête célébrant le kimjang, c’est-à-dire la confection du kimchi d’hiver, dont l’odeur piquante se répandrait bientôt dans toutes les pièces.
Condiment de base de l’alimentation coréenne depuis des temps anciens, au point de faire aujourd’hui figure de symbole culturel, le kimchi permet la conservation de légumes en vue de leur consommation tout au long de l’hiver grâce à la fermentation, qui les gorge d’acide lactique et de riches saveurs.
La variété coréenne de chou dite baechu, que l’on met dans une saumure d’eau fortement salée, n’en conserve pas moins sa fraîcheur et les enzymes qui y sont présentes provoquent la fermentation de sa chair. Quant à l’assaisonnement agrémentant cette préparation, il se compose d’ingrédients d’origine tant végétale qu’animale sous forme de radis chinois émincé, d’ail, de poireau, de piment rouge, de fruits de mer salés, de calmar frais et de pignons de pin qui participent tous de la parfaite conservation du kimchi ainsi obtenu. Ce dernier prendra place dans de gros pots enterrés que l’on ne rouvrira qu’à la saison froide, mais les foyers modernes sont désormais équipés de réfrigérateurs conçus à cet effet et certes beaucoup plus pratiques.
La recette du kimchi se décline en plus de deux cents variantes régionales, mais peut aussi différer d’une famille à l’autre. Si le piment rouge entre dans sa composition depuis la fin de la première moitié du XVIIIe siècle, le baechu, qui en constitue pourtant l’ingrédient principal, n’a été employé que plus tard, suite à son introduction en Corée à la fin du XIXe siècle. En 1988, le public étranger allait découvrir le kimchi à l’occasion des Jeux olympiques de Séoul et, à peine deux ans plus tard, démarraient ses premières exportations, tandis qu’en décembre 2012, l’inscription du kimjang sur la Liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO allait attester de la valeur de cette tradition ancestrale.
Il n’en demeure pas moins que nombre de nos contemporains, rechignant à perpétuer cette pratique, préfèrent se contenter des produits conditionnés en sachet de plastique que leur proposent les supermarchés ou le commerce en ligne. Pour ma part, quand vient l’époque du kimjang, je ne peux m’empêcher de céder à la nostalgie en me souvenant du bon vieux temps où tantine fourrait dans ma bouche grande ouverte l’une de ces feuilles de kimchi que j’attendais impatiemment en penchant la tête en arrière.