Après une rapide cuisson à la vapeur, les crevettes de taille courante fournissent un mets des plus savoureux, tandis que celles d’une vingtaine de centimètres conviennent plutôt aux grillades et les petites, à la préparation de condiments saumurés, mais, quelles que soient leurs dimensions, les protéines et minéraux qu’elles renferment, ainsi que la délicatesse de leur goût salé, en font un aliment très apprécié de par le monde.
Appréciées dans le monde entier pour leur saveur à la fois sucrée et salée, les crevettes livrent tous leurs délices de la fin de l’automne à l’hiver, car leur teneur en acides aminés et en acide glycine augmente fortement à cette époque de l’année. © PIXTA
En Corée, la saison de la pêche côtière à la crevette s’étend de la fin de l’automne à celle de l’hiver pour une raison liée à la nature même de ce crustacé, à savoir la faible proportion de graisse que renferme son corps, contrairement à celui du poisson, qui grossit en hiver pour se protéger du froid. Quant aux crustacés, ils descendent en eau profonde à la recherche de plus hautes températures ou accroissent le volume des éléments constituants de leur corps qui ne gèlent pas.
Quand vient la saison froide, les crevettes s’éloignent donc des côtes péninsulaires où elles vivent le reste de l’année, mais dès l’automne, elles se sont prémunies contre la baisse de la température de l’eau en se dotant d’une plus grande quantité d’acides gras oméga-3 et d’acide aminé glycine, lequel est à l’origine de leur saveur sucrée. Leurs qualités gustatives et nutritionnelles s’avèrent donc être les meilleures à cette époque de l’année.
Les gambas géantes qui évoluent dans les eaux tempérées et subtropicales coréennes ou chinoises fournissent d’excellentes grillades qu’il suffit d’assaisonner avec du gros sel. © gettyimages
On pourra aussi faire frire les gambas géantes entières, sans en retirer la carapace, après les avoir enrobées de farine, de pâte et de chapelure. © gettyimages
Fermentation ou saumure à la sauce de soja ?
Les crevettes se prêtent à des préparations tout aussi simples que variées allant de la friture au gros sel à une cuisson à la vapeur qui met en valeur leur goût de noisette légèrement sucré, mais on pourra aussi les consommer crues, après en avoir réservé les têtes pour les faire bouillir. Les différentes espèces qui évoluent le long des côtes coréennes comportent la dohwa saeu, cette « crevette fleur de pêcher » dont la longueur pouvant dépasser vingt centimètres n’enlève rien au bel aspect évoqué par son nom et qui possède une chair douce et ferme, l’ensemble la rendant bien adaptée à figurer comme plat principal au menu des restaurants gastronomiques.
D’une taille beaucoup plus modeste, l’espèce dite jeot saeu est la plus communément pêchée dans les eaux coréennes, mais représente aussi la plus grande partie des prises mondiales. Tandis que sa consœur géante est accommodée en grillade chez le consommateur, elle est salée sur les bateaux en raison de sa consistance trop tendre et donc propice à une décomposition rapide.
Dans de nombreux pays d’Asie, elle subit une fermentation qui permet de confectionner sauces, concentrés et autres condiments. Connues sous le nom de xia gao et xia jiang à Hongkong, de kapi en Thaïlande, de belacan en Malaisie, de terasi en Indonésie et de ma˘´m tôm au Vietnam, ces préparations ont pour trait commun d’être à base de crevettes. En Corée, une fois salées et fermentées, elles fournissent une préparation appelée saeujeot qui entre dans la composition de plats très divers tels que le kimchi.
Réalisé avec des crevettes crues qui ont mariné dans une sauce de soja ayant mijoté avec des légumes et épices, puis refroidi, le saeujang ne constitue pas en revanche un condiment, mais bel et bien un plat dont la saveur incomparable résulte du mariage de la chair crue des crevettes avec la sauce de soja mêlant sel et sucre. Sa recette reprend exactement celle du gejang, si ce n’est que ce dernier se compose de crabe cru. Dans la première, la chair tendre des crevettes possède une texture bien particulière et confère une telle saveur au riz étuvé dont on l’accompagne que le mangeur engloutit celui-ci d’autant plus rapidement, ce qui explique que cette préparation soit parfois appelée la « voleuse de riz ».
La question du cholestérol
Les crevettes crues marinées sont aussi très prisées par les Coréens. La marinade se compose d’une sauce de soja que l’on a fait mijoter avec des légumes et des épices. © Shutterstock
Les petites crevettes salées et fermentées, dites saeujeot, servent de condiment pour relever divers plats et pour confectionner le kimchi. Agrémentées de fines tranches de piment vert piquant, de piment rouge en poudre, d’ail, de graines de sésame et d’huile de sésame, elles constituent un plat d’accompagnement qui ouvre l’appétit des mangeurs l’été venu. © Institut de cuisine royale coréenne
La crevette est indéniablement riche en cholestérol puisque la quantité de cette substance grasse qui y est présente s’élève à 189 milligrammes pour 100 grammes. Cette forte teneur s’explique par le rôle important qu’elle joue dans la croissance en permettant la production d’une hormone qui accélère le mécanisme de l’excrétion au fur et à mesure que le crustacé grandit et renouvelle son exosquelette. Le cholestérol se révèle tout aussi indispensable à l’homme, puisqu’il favorise le développement cérébral, ainsi que la biosynthèse des hormones sexuelles et de la vitamine D, cette « vitamine du soleil » que fabrique la peau sous l’action du rayonnement solaire, ce qui explique les nombreuses carences constatées dans ce domaine en période hivernale.
Si le corps humain produit naturellement le cholestérol qui lui est indispensable, il n’en va pas de même de celui des crustacés. Qu’elles soient sauvages ou d’élevage, les crevettes ont besoin d’un apport suffisant en cholestérol pour réaliser leur croissance et, dans ce dernier cas, il convient donc de leur fournir une alimentation adéquate. Cette substance se répartit inégalement dans son corps, dont la partie charnue en contient assez peu, contrairement à la tête où elle se concentre, notamment chez les petites crevettes salées dont la tête renferme des organes riches en graisses et en cholestérol, la proportion en étant respectivement sept et deux à trois fois supérieure à celle de la chair. À l’extrémité du tractus gastro-intestinal, elle s’avère également élevée, quoique correspondant à une faible quantité.
Comme c’est le cas au sujet de nombre d’autres aliments, certaines idées fausses circulent à propos de la crevette, notamment l’affirmation absolument infondée selon laquelle sa queue renfermerait une substance empêchant l’absorption de cholestérol. C’est un élément constitutif de sa carapace, la chitine, que ne peut ni assimiler ni digérer son corps, car sa décomposition en petites molécules à l’efficacité avérée dans la réduction du taux de cholestérol dans le sang, dites cétones, n’est possible que par un processus chimique faisant appel à un alcali fort. La mastication de la carapace ou de la queue, si elle ne peut donc suffire à transformer la chitine en cétones, n’en libère pas moins d’agréables saveurs provenant des acides aminés, du sucre et des pigments responsables du goût et de l’arôme particuliers de ce crustacé. Lors de la cuisson, ils éviteront que les composants aromatiques de la chair ne se dissolvent sous l’effet de la chaleur.
Une pêche déclinante
Si certains évitent de consommer des crevettes parce qu’ils sont soucieux de leur taux de cholestérol, ils n’ont aucune inquiétude à avoir à cet égard, puisque près de 80 % du cholestérol présent dans notre sang est naturellement sécrété par notre organisme, ce qui ne permet donc pas d’agir aisément sur ce paramètre par un régime alimentaire. En réalité, la teneur cholestérol se révèle plus critique pour les crevettes elles-mêmes, puisque, pour stimuler leur croissance, elle doit être d’environ 0,5 % dans leur alimentation, mais non supérieure à 5 %, ce niveau nuisant à leur développement.
Particulièrement prisés en Asie, les craquelins aux crevettes, ces en-cas composés de crevettes hachées et d’amidon, étaient confectionnés en Corée avec des espèces de taille moyenne jusque dans les années 1990, où les prises de ces crustacés se sont faites plus rares et ont contraint les cuisiniers à leur substituer des crevettes bleues, dites ggotsaeu. Dans ce domaine comme dans tous les autres, les ressources de la planète ne sont pas inépuisables et, faute de se préoccuper de l’impact de la pêche et de l’élevage sur l’environnement, ainsi que de leur développement durable, il se pourrait fort que nous soyons privés de ce délicieux produit de la mer dans un avenir assez proche.
Yi Saek (1328-1396), un homme de lettres qui vécut dans les derniers temps du royaume de Goryeo, écrivit ce qui suit en guise de remerciement, après s’être vu faire présent de crevettes géantes : « Elles s’inclinent avec courtoisie en un témoignage de respect qui participe de la poursuite de la Voie ». Dans l’esprit de cet érudit néo-confucianiste, ces petits crustacés aux longues antennes et au corps replié durent évoquer l’image de personnes humblement courbées que nous serions aujourd’hui fort avisés d’imiter en observant le monde qui nous entoure pour y trouver les moyens de vivre en harmonie avec la nature et continuer de bénéficier de la délicieuse manne automnale de la mer.