Dans sa pharmacie, Jeong Cho-rong ne se contente pas de fournir médicaments et conseils de santé, car on vient souvent s’y asseoir pour discuter entre amis et clients, comme on le faisait autrefois au
sarangbang, ce lieu convivial qui se fait malheureusement trop rare.
À Yeongwol, la petite pharmacie de Jeong Cho-rong joue un rôle important dans son quartier en permettant aux personnes âgées de se retrouver pour discuter, aux usagers d’attendre leur bus et aux acheteurs de déposer leur sac pour continuer leurs courses.
Pour Jeong Cho-rong, les journées de travail se suivent et se ressemblent, mais n’en sont pas moins chargées. Dans sa pharmacie ouverte de neuf à dix-huit heures, elle vend des médicaments sur ordonnance, prodigue des conseils, assure le suivi de santé de ses clients et réalise elle-même des supports publicitaires.
À cela s’ajoute un service jusqu’ici sans rapport avec son métier, puisqu’elle consiste à garder les sacs à provisions et effets personnels que lui confient ses clients lorsqu’il leur faut se rendre rapidement à la banque, chez le médecin, dans une administration ou dans un autre commerce.
« Elles me le demandent si gentiment ! Cela montre qu’elles se sentent bien ici, ce qui me fait très plaisir. Que souhaiter de mieux ? », déclare-t-elle.
Un lieu incontournable
Dans une maison coréenne traditionnelle, le sarangbang, dont le nom signifie littéralement « salle d’amour », était une pièce qui servait principalement à recevoir les invités et se situait à l’extérieur du local principal. On s’y retrouvait dans une atmosphère détendue pour échanger histoires, informations et idées, ou tout simplement pour prendre du repos ou s’adonner à ses loisirs.
Elle tend aujourd’hui à disparaître d’un mode de vie urbain trop mouvementé, mais subsiste dans les villes et villages de province où le temps s’écoule plus paisiblement.
Native de Yeongwol, cette petite agglomération de la province de Gangwon, Jeong Cho-rong y tient une pharmacie dont elle entend faire bien plus qu’un lieu consacré au commerce des médicaments et des produits de parapharmacie, ce qui lui vaut de jouir d’une certaine notoriété. Outre une table où peuvent s’asseoir les clients en attendant d’être servis, ceux-ci se voient offrir du ssanghwatang, une boisson coréenne à base de plantes qui soulage de la fatigue et prévient le rhume, des yakgwa, ces biscuits traditionnels coréens au miel, des bonbons au xylitol et des vitamines.
Si cette table semble avant tout destinée à faire patienter les gens, nombre d’entre eux s’en servent dans un tout autre but, qui pour s’y arrêter un moment avant de rejoindre des amis dans le voisinage, qui pour tuer le temps en attendant leur bus ou pour s’accorder un moment et converser avec d’autres, comme à l’ombre d’un grand arbre de village. À sa manière, l’officine de Jeong Cho-rong joue ainsi le rôle d’un sarangbang à l’échelle du quartier. Située sur une rue passante, elle est d’un accès aisé et d’un aspect accueillant avec sa façade vitrée du sol au plafond.
Le bonheur de vivre dans sa ville natale
La ville de Yeongwol se blottit à l’extrémité sud de la province de Gangwon, dans un décor fait de montagnes, vallées, rivières et lacs. Au terme de ses études en pharmacie, Jeong Cho-rong a travaillé près d’une année durant dans une pharmacie de la ville de Chungju située dans la province du Chungcheong du Nord. « Il y avait beaucoup de travail, mais je trouvais quand même le temps de faire essayer différents médicaments aux clients en fonction de ce dont ils souffraient. Je pense que cette période a été la plus gratifiante de ma carrière de pharmacienne », se souvient-elle. C’est, à n’en pas douter, l’époque où elle a le plus appris sur le métier, mais aussi celle où elle a été amenée à faire certains choix. « Je prenais les ordonnances l’une après l’autre et n’avais plus le temps d’informer les clients. J’ai compris un jour que ce qui m’intéressait, c’était de dialoguer avec eux au lieu de m’en tenir à les servir comme un robot. J’ai donc décidé d’ouvrir moi aussi une pharmacie. »
Après avoir démissionné, Jeong Cho-rong s’est accordé une pause de trois mois pour voyager seule, ce qui lui a permis de prendre confiance et d’acquérir des connaissances qui allaient lui être précieuses sur le plan professionnel.
Ne trouvant pas de local commercial situé à son goût à Chungju, elle en a cherché et trouvé un à Yeongwol, où venait de se libérer celui qu’une boutique de vêtements occupait depuis une trentaine d’années. Quand son père le lui a signalé, elle a d’abord hésité, n’ayant pas pensé exercer en zone rurale, puis a envisagé les choses autrement. Que rêver de mieux que sa ville natale pour tenir une pharmacie qu’elle entendait être chaleureuse et accueillante ?
En avril 2019, elle allait donc rentrer au pays et y ouvrir sa pharmacie appelée Yaksaseyo, c’est-à-dire, « S’il vous plaît, achetez des médicaments », ce qui a fait d’elle une très jeune propriétaire à l’âge de vingt-neuf ans, soit deux ans à peine après avoir obtenu sa licence. Son intuition était la bonne, puisque ses clients, connaissant déjà sa famille, l’ont aussitôt adoptée.
« Là-dessus, moins d’un an après l’ouverture, est survenue la crise de la Covid-19 », se souvient-elle. « Pour faire face à la pénurie de masques et d’analgésiques, les choses n’ont pas toujours été faciles, mais, en fin de compte, je me dis qu’en traversant cette épreuve ensemble, nous avons tissé des liens plus forts, mes clients et moi. »
Depuis qu’un retour à la normale est intervenu, Jeong Cho-rong a constaté que les habitudes avaient changé s’agissant de médicaments. Alors que les traitements représentaient l’essentiel des ventes, ils ont cédé la place à la prévention, ce qui témoigne d’une prise de conscience du rôle primordial de l’immunité.
La pharmacienne s’attache à constituer le dossier médical de chacun de ses clients afin d’assurer leur suivi de santé et de pouvoir mieux les aider grâce à la connaissance de leurs antécédents médicaux. « Depuis mon plus jeune âge, je tire fierté du bénévolat et des dons que j’effectue », confie-t-elle. « En devenant pharmacienne, je me suis dit que je pourrais partager mon savoir-faire avec beaucoup de gens et que, si je les aidais en le faisant, c’était le meilleur métier qui soit. »
Une bonne dose d’humanité
« J’ai surtout une clientèle d’habitués et il m’arrive même d’avoir à conseiller leur famille. Dans tous les cas, je m’efforce d’informer aussi précisément que possible ceux qui fréquentent ma pharmacie, mais aussi leurs proches, afin qu’ils aient un mode de vie sain. »
En Corée, les pharmacies permettent d’acheter nombre de médicaments et d’obtenir un premier avis médical sans avoir à consulter un médecin, cette pratique étant d’autant plus répandue en zone rurale qu’il y a peu d’hôpitaux ou cliniques et ces officines assurant donc des prestations essentielles hors les cas d’urgence.
Jeong Cho-rong crée elle-même des autocollants qu’elle appose sur les boîtes de médicaments destinés à soulager des effets de la consommation d’alcool, de la fatigue et d’autres maux.
Dans le canton de Yeongwol, qui compte beaucoup plus de personnes âgées que de jeunes, le rôle de conseil des pharmacies s’avère crucial. « Les pharmaciens y sont les spécialistes les plus accessibles. Pour obtenir un premier avis, point n’est besoin de prendre rendez-vous et de payer des honoraires. Sur le plan professionnel, c’est une grande satisfaction de savoir que les personnes qui ont besoin de moi peuvent passer à tout moment. »
La jeune pharmacienne leur pose alors des questions pertinentes sur leurs symptômes, leur régime alimentaire et leurs traitements éventuels et, s’ils voient leur santé s’améliorer grâce à ses conseils, alors elle estime avoir elle-même progressé. Dans chacune de ses préparations et recommandations, est toujours présente une bonne dose d’humanité.
« Je n’oublierai jamais ce qui s’est passé un jour. En parlant avec une femme d’âge moyen qui portait un chapeau, j’ai compris qu’elle subissait une chimiothérapie. J’ai cherché un moyen de l’encourager et je lui ai serré la main très fort, mais je me suis mise à pleurer. Quoique je n’aie rien pu faire d’autre que lui tenir la main, elle m’en a été très reconnaissante. Maintenant, elle a une rémission et, quand elle vient à la pharmacie, je vois qu’elle est en bonne santé, ce qui me rend très heureuse. »
Jeong Cho-rong se rappelle aussi cette autre femme d’âge moyen venue demander des conseils sur des compléments alimentaires adaptés à la démence, dont sa mère était atteinte alors qu’elle s’apprêtait à entrer en maison de retraite. Ce jour-là aussi, la jeune femme et sa cliente ont fondu toutes deux en larmes. Tout en sachant que la compassion ne peut guérir, elle estime qu’elle peut aider à retrouver une certaine force et c’est ce qui l’incite à consacrer autant de temps et d’énergie à rester à l’écoute et à agir avec empathie. Elle revoit encore aujourd’hui le sourire heureux de cette cliente dont elle avait partagé la peine.
Les vertus du rire
À travers la large vitrine de sa pharmacie bordée d’arbres, Jeong Cho-rong observe le spectacle de la rue qui change au rythme des saisons, tout comme les fruits et légumes qu’ont achetés ses clients et qu’ils lui confient le temps d’une autre course.
La jeune pharmacienne travaille actuellement à la réalisation d’un webtoon qu’elle diffusera sous forme de série sur les réseaux sociaux. Il met en scène des personnages de sa création et porte sur différents sujets tels que l’ouverture de sa pharmacie, les personnes qui composent sa clientèle ou les médicaments les plus efficaces.
© yaksaseyo
Quand il y a moins d’affluence, elle en profite pour créer des affiches ou autocollants publicitaires destinés à la promotion de produits tels que les boissons énergisantes. Son magasin abonde en charmantes créations, comme ce personnage de dessin animé que l’on découvre en entrant et sur lequel sont représentés le cerveau, les yeux, le foie, l’estomac et les autres organes du corps humain. Ce héros de webtoon a été créé et présenté sur les réseaux sociaux par la commerçante elle-même (www.instagram.com/yaksaseyo_pharmacy) à l’époque où elle travaillait à Chungju afin de se mettre à la portée de tous ses clients. En regard de chacun des organes de ce petit personnage, qu’elle a tenu à dessiner à son image, elle a fait figurer les médicaments correspondants sur l’affiche le représentant. Les autocollants de sa fabrication, très prisés pour leur côté humoristique, sont disposés près des remèdes contre les effets désagréables de l’alcool ou la fatigue pour la plus grande satisfaction de la clientèle.
« Ces jours-ci, je crée une bande dessinée pour le bulletin mensuel du canton, Yeongwol Living. Elle raconte de petits faits quotidiens qui se passent à la pharmacie et j’espère qu’ils amuseront les lecteurs. »
Le jour décline et, pour Jeong Cho-rong, le moment est venu de rentrer après toute une journée passée à conseiller ou vendre dans son chaleureux environnement de travail. De retour chez elle, elle achèvera les dessins et bandes dessinées pleins de drôlerie qu’elle a esquissés pendant la journée et, ce faisant, elle ne verra pas la nuit tomber.