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On the Road

2021 SPRING

LIFE

ESCAPADELe foyer d’une révolution

Située dans la province du Jeolla du Nord, la ville de Gochang offre au regard le spectacle de ses superbes paysages naturels et de ses riches terres cultivées pour le plus grand plaisir des visiteurs, mais ses collines ensoleillées et ses vallées sinueuses gardent aussi le souvenir douloureux de la révolution paysanne qui y fut réprimée dans les dernières années du royaume de Joseon.

À ma descente du KTX Séoul-Yongsan à la gare Songjeong de Gwangju après un trajet d’une heure et quarante minutes, m’attendait l’ami qui va me conduire jusqu’à Gochang et, alors que nous roulons, je lis ce qui suit sur une pancarte signalant l’arrivée dans cette ville : « Bienvenue à Gochang, capitale historique de la péninsule coréenne. Découvrez les beautés du mont Seonun en toute saison et le site sacré de la révolution paysanne du Donghak ».

C’est en effet dans cette ville que fut brandi pour la première fois l’étendard de ce soulèvement de paysans survenu en 1894, alors qu’approchait la fin du royaume de Joseon, puis qu’allaient être ensevelies les dépouilles mortelles des combattants vaincus. Non loin de ce panneau, flottait au vent une autre bannière, appelant cette fois à de généreux donateurs : « Aidez-nous à réunir des fonds pour élever une statue au général Jeon Bong-jun ». Si l’État a d’ores et déjà doté la ville de plusieurs de ces sculptures commémoratives de la révolution et de ses grandes figures, la population prend aujourd’hui l’initiative d’honorer son plus illustre dirigeant.

Sculpté à flanc de colline au bord du chemin qui mène à l’ermitage de Dosol situé près du temple de Seonun, à la sortie de la ville de Gochang, ce Bouddha assis datant du royaume de Goryeo (918-1392) mesure pas moins de 15,7 mètres de hauteur sur 8,5 mètres de largeur au niveau de ses genoux, ce qui en fait l’une des plus grandes sculptures bouddhistes coréennes réalisées à même la roche. Dans les années 1890, les guerriers de la révolution paysanne du Donghak prièrent devant cette effigie pour une issue victorieuse de leur soulèvement.

Aux sources de la révolution
Le visiteur qui repart sur les traces de la révolution de jadis entame son cheminement en traversant une vaste étendue de champs et parvient à Juksan, un village du canton de Jeongeup situé dans la province du Jeolla du Nord. Là, il découvre une maisonnette au toit de tuiles où vécut Song Du-ho (1829-1895), ce révolutionnaire exécuté voilà cent vingt-six ans auquel je tenais à réserver mon premier hommage. À son entrée dépourvue de porte, se dresse une colonne en béton sur laquelle sont gravés les mots « Berceau de la révolution paysanne du Donghak » en souvenir des héros qui défièrent la dernière monarchie de Corée en un combat à mort au nom de leur idéal de justice.

Ils scellèrent leur engagement par un document, dit sabal tongmun, qui recueillait leurs vingt-deux signatures apposées sur le pourtour d’un bol à riz posé à l’envers afin que le cercle qu’il délimitait masque le nom du premier signataire et ne permette pas de découvrir l’identité des instigateurs de la révolte, sa forme rappelant en outre le fameux ordre des Chevaliers de la Table ronde qui gardait secrets le patronyme de son chef et les rangs respectifs de ses membres.

L’établissement de ce document témoigne à lui seul du haut degré de préparation de la révolte paysanne du Dong-hak et de son caractère authentiquement populaire face à un pouvoir corrompu qui exerçait sa tyrannie depuis de longues années. En outre, il définissait les quatre étapes du plan que devrait suivre le soulèvement armé auquel il appelait, exhortant notamment le peuple à commencer par prendre d’assaut le bureau du magistrat avant de marcher sur Séoul. Le nom de Donghak, qui signifie « étude de l’Orient », désignait un mouvement d’universitaires de la région animés d’un esprit réformateur et opposés aux influences occidentales qu’incarnaient le christianisme et les puissances impériales. Miraculeusement parvenu jusqu’à nos jours, leur pacte se trouvait sous le plancher de la maison de Song Jun-seop, un descendant de Song Du-ho, lorsqu’il a été découvert de manière fortuite voilà cinquante-trois ans. Après que le soulèvement eut été écrasé par l’armée qu’avait dépêchée le gouvernement, il fut déclaré « village rebelle », les soldats massacrant sa population et brûlant tout sur leur passage. Fort heureusement, l’appel à la révolte du Donghak échappa à leur furie dévastatrice, car il était demeuré bien caché dans les archives généalogiques des occupants de la maison.

Dans une autre habitation, située en vis-à-vis de ce quartier général de la révolution, vivait le grand-père d’un ami qui fut témoin des événements et pleura ceux qu’il vit tomber. Non loin de là, s’élève la tour qu’édifièrent les descendants des insurgés du Donghak pour rappeler leurs actes de courage et, dans son voisinage, celle qui honore les paysans soldats de l’armée villageoise, autant de héros anonymes de ce combat pour un monde meilleur.

À Gobu, avait éclaté une première révolte couronnée de succès, mais celle qui la suivit à Ugeumchi, ce col de montagne situé un peu plus au nord de Gonju, fut aisément réduite par l’armée nationale avec l’aide de renforts militaires japonais sollicités à cette occasion, les lances des villageois ne pouvant rien contre les canons de cette coalition.

Le bol à riz sur lequel prêtèrent serment les dirigeants du mouvement symbolise bien cette révolte de paysans armés de leurs seules pioches et faucilles, car la survie des communautés villageoises exigeait alors un partage du riz par tous. Tandis que j’embrasse du regard l’immensité des champs, me viennent en tête des images de paysans affamés marchant sur Séoul qui se confondent avec celles de Spartacus menant jusqu’à Rome une horde d’esclaves rebelles et me rappellent que ces soulèvements furent tous deux écrasés.

Au temple de Seonun, qui possède la plus grande concentration de camélias de Corée, ces fleurs s’épanouissent de la fin mars à la mi-avril, agrémentant les jardins du temple de leurs magnifiques corolles rouges et de leur luxuriant feuillage vert.

Édifié au temple de Seonun en 1620 pour accueillir des réunions, le pavillon de Manseru, c’est-à-dire « de l’éternité », allait être détruit par un incendie, puis reconstruit en 1752, le nom de Manseru succédant alors à celui d’origine, Daeyangnu. Ses poutres et chevrons intérieurs sont entièrement constitués de bois.

Un temple et un paysage marin
Mon périple a pour halte suivante le temple de Seonun, où j’espérais pouvoir m’imprégner de la sérénité ambiante afin de « dépoussiérer » mon esprit, mais qu’ont investi aujourd’hui les touristes impatients d’admirer les camélias écarlates qui ont éclos à l’arrière du grand pavillon.

Accroché au flanc nord du mont Seonun, dont le nom signifie « nuage zen », le temple éponyme fut construit en 577 par les moines Geomdan et Uiun respectivement sujets des royaumes de Baekje et de Silla. Ces deux États voisins se livraient alors une guerre qui provoqua un exode, les deux religieux s’employant alors de concert à venir en aide aux réfugiés. C’est pour leur offrir un havre de paix qu’ils entreprirent d’édifier le temple de Seonun, lequel avait donc à l’origine vocation à fournir un lieu de refuge. Près de 1 300 ans plus tard, les soldats paysans prirent l’ha-bitude de venir y prier pour le succès de leur soulèvement devant le Bouddha sculpté à même la roche de la colline où s’élève l’ermitage de Dosol, sur le versant opposé à celui du temple.

En quittant ces lieux, je me dirige vers les « dix li de sable clair » de la plage de Myeongsasimni, qui s’étend face au port de Gyeokpo situé à Buan. La brise du printemps m’apporte les senteurs agréables des pins centenaires d’une épaisse forêt qui borde cette bande de fin sable blanc longue de plus d’un kilomètre et une impression de pureté inonde soudain tous mes sens, tandis que me parvient le bruissement des arbres sous le vent, tel le doux bruit de l’eau de mon thé dans la bouilloire.

Au-delà de ce cordon sablonneux, de grandes vasières s’étirent jusqu’à l’horizon et, tous les jours, mer et terre s’y confondent sous l’action de marées dont les amplitudes sont réputées être les plus importantes au monde, comme sur tout le littoral occidental de la péninsule coréenne. L’eau y est d’une telle salinité que les personnes souffrant d’affections cutanées viennent s’y baigner, celles atteintes de troubles névralgiques aimant à s’envelopper de sable chaud de la plage. La vue des vasières m’évoque le souvenir de l’amiral Yi Sun-shin (1545-1598), le plus illustre stratège de la marine de guerre coréenne à propos duquel l’histoire conte que, pendant les invasions japonaises de 1592 à 1598, lorsque les vivres vinrent à manquer, il se serait saisi d’une marmite pour y prélever de l’eau de mer et la faire évaporer, le produit de la vente du sel ainsi recueilli lui ayant alors permis de s’approvisionner en milliers de tonnes de riz.

Le printemps venu, les champs d’orge de la ferme Hagwon attirent un demi-million de visiteurs qui peuvent notamment y participer à la Fête des champs d’orge verts, la plus importante manifestation festive de la région.

À Gochang, les jangseung, ces mâts totémiques de petite taille, fournissent autant de repères au milieu des champs d’orge qui s’étendent sur près de cent hectares.

Tandis que j’embrasse du regard l’immensité des champs, me viennent en tête des images de paysans affamés marchant sur Séoul qui se confondent avec celles de Spartacus menant jusqu’à Rome une horde d’esclaves rebelles et me rappellent que ces soulèvements furent tous deux écrasés.

Quelque 1 600 dolmens ont été répertoriés dans le canton de Gochang, ce qui représente le plus important groupement mégalithique de ce type en Corée. Aux côtés de ceux de Hwasun et de Ganghwa, le site de Gochang a été inscrit en l’an 2000 sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.

Orchestre villageois jouant à l’entrée de la forteresse de Gochang. Avant la pandémie de COVID-19, des spectacles de musique et de danse traditionnelles se déroulaient à l’intérieur des murs tous les week-ends, au printemps et en automne, ainsi que, non loin de là, dans la maison natale du maître du chant du pansori, Shin Jae-hyo (1812-1884).

L’anguille grillée
Lors d’un séjour à Gochang, on ne saurait omettre de déguster sa fameuse grillade de jangeo, c’est-à-dire d’anguilles, cette saine spécialité de la cuisine populaire que l’on accompagnera d’un vin de framboise noire de Corée appelé bokbunja. Les anguilles pêchées dans le Pungcheon, le ruisseau qui arrose Gochang, font la renommée de cette ville où s’unissent mer et eau douce.

Un peu à l’écart de l’artère principale et à proximité des champs, j’entre dans un restaurant dont les gourmets de la région se gardent bien de révéler l’existence. Nommé Hyeongje Susan Pungcheon Jangeo, il possède des salles spacieuses qui donnent sur un vaste jardin.

Sur un feu de charbon de bois, le patron fait lui-même griller les anguilles de la pêche du jour qu’il a d’abord plongées dans une marinade composée de pas moins de deux cents ingrédients différents, dont des plantes médicinales, des enzymes issues de céréales et un alcool à base de simples. La préparation ainsi obtenue, dont les ingrédients sont exclusivement issus de l’agriculture biologique, sera servie avec différents accompagnements de saison. En faisant aller et venir le vin de framboise de fabrication maison sur ma langue, je me sens rajeunir et rempli d’une énergie nouvelle.

Village du sel de Gojeon-ri

Zone humide d’Ungok (convention de Ramsar)

Musée du dolmen de Gochang

Musée du pansori de Gochang

Les groupements de dolmens
Après une visite matinale du Musée du dolmen, qui se situe dans le centre de Gochang, j’entreprends d’aller admirer les dolmens qui s’élèvent en pleine nature près du village de Daesan. En cheminant depuis la sortie de celui-ci et en mon-tant jusqu’à mi-pente sur la colline, je découvre ces mégalithes sur tous les chemins que j’emprunte, comme si je me trouvais dans un immense musée à ciel ouvert présentant ces monuments funéraires. Ces derniers sont tous numérotés par ordre décroissant, de bas en haut de la colline, et, malgré la curiosité que j’ai d’admirer celui du sommet, la fatigue m’y fait bien vite renoncer.

Il convient de rappeler que la péninsule coréenne possède à elle seule 60 % de tous les dolmens du monde, dont 1 600 situés à Gochang. En l’an 2000, l’UNESCO a inscrit ce site mégalithique sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité, de même que ceux de Hwasun et de Ganghwa, dans le cas du premier des trois, en raison de la grande variété de ses spécimens illustrant l’évolution des techniques mises en oeuvre par les bâtisseurs de jadis. À ce titre, on peut affirmer que le canton de Gochang constitue dans son ensemble un précieux bien du patrimoine culturel. En 2013, la région allait également être classée par l’UNESCO parmi les réserves de biosphère de la planète du fait de son environnement naturel intact et de sa diversité biologique.

Quand vient l’après-midi, malgré mes jambes fatiguées, je pars en clopinant jusqu’aux champs d’orge verts de la ferme de Hagwon. Au mois d’avril, quand le colza fleurit de jaune la campagne, les touristes accourent par milliers dans toute la région pour admirer ce spectacle. Sous les pre-mières gouttes qui tombent, je m’éloigne des sillons garnis de pousses vigoureuses en me disant que toute beauté ne peut que disparaître pour que renaisse la vie, de même que les fleurs doivent tomber pour que les fruits mûrissent. Émerveillé par ces myriades de jeunes plantes qu’arrose la pluie printanière dans les champs, je constate que, si ce voyage ne m’a guère révélé de nouveautés, il m’a tout du moins appris à porter un regard différent sur ce qui m’entoure.

Lee San-ha Poète
Ahn Hong-beomPhotographe

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