메인메뉴 바로가기본문으로 바로가기

Tales of Two Koreas > 상세화면

2016 SPRING

Les artistes réfugiés rêvent d’uneCorée sans frontières

Ce sont plus de 28 000 Nord-Coréens qui ont trouvé refuge de ce côté-ci de la frontière, fuyant la famine ou aspirantà plus de liberté, dont d’anciens étudiants des beaux-arts et artistes professionnels. Constatant que les tensionsintercoréennes ne semblent pas en voie d’apaisement, ils se servent de leurs oeuvres pour évoquer leurs souvenirs dupays natal et exprimer le grand espoir de réunification qui les habite.

Déshabillez-vous, Sun Mu, 2015, huile sur toile,130cm x 190cm

Il est manifeste que bon nombre d’oeuvres duesà des réfugiés nord-coréens véhiculent une certainepropagande et elles ne s’en cachent pas, cettedémarche n’étant pas perçue de la même manière depart et d’autre de la frontière. Les créations du peintreSun Mu, qui est âgé d’environ quarante-cinq ans, ontainsi été incomprises, ce dont il a eu à subir les conséquences.Un jour de 2007 où il exposait pour la premièrefois en Corée du Sud, dans une galerie du quartierde Jongno situé au centre de Séoul, un policier y afait irruption et lui a demandé de le suivre au commissariataux fins d’une enquête. Il allait apprendre parla suite que des habitants du quartier et des visiteursde la galerie s’étaient plaints à la police de la présenceà l’exposition de « tableaux à la gloire de la Corée duNord », ce qui constitue un délit au regard de la loi surla sécurité nationale. En 2008, lors de la Biennale deBusan, ses oeuvres allaient être retirées de l’expositionau motif qu’elles comportaient un portrait de KimIl-sung.

Quant au peintre Song Byeok, lui aussi nord-coréenet réfugié en Corée du Sud, il rapporte des faits analogues.Lorsqu’il a ouvert au public son studio situédans un centre commercial de Gangnam, ce quartierdu sud de Séoul, des personnes âgées ont informé lesautorités que parmi les oeuvres présentées, figuraientdes portraits de Kim Jong-il et Kim Jong-un. L’artiste aaussitôt reçu la visite d’un agent de renseignement duService de la surveillance intérieure coréenne

Ni ligne ni frontière

Autoportrait, Sun Mu, 2009, huile sur toile, 100cm x 40cmSur ce tableau, l’artiste a griffonné les mots suivants :« Voilà près de dix ans que j’ai quitté mon pays. Quandla porte s’ouvrira-t-elle ? »

Après avoir fui son pays en 1998 et s’être beaucoupdéplacé en Chine, en Thaïlande et au Laos, Sun Mu afini par arriver quatre ans plus tard en Corée du Sud,où il a été le premier artiste nord-coréen à chercherasile. Sa défection n’était pas motivée par son aversionpour le régime, alors que c’était le cas des autres réfugiés.Après sa scolarité, pendant laquelle il a pratiquéle scoutisme, Sun Mu a effectué trois années d’étudesdans une faculté des beaux-arts, puis son service militaireoù il a exercé en tant que peintre propagandiste.Son départ ultérieur a été le fruit du hasard. Il s’esttrouvé qu’il était en Chine, où il réalisait de menus travaux,à l’époque à laquelle approchaient des électionsen Corée du Nord. Le vote étant obligatoire pour lescitoyens de ce pays, tout manquement à cette obligationconstitue un délit politique et expose le coupableà l’internement dans un camp de rééducation. Sun Mus’est alors rendu compte qu’il lui serait impossible derevenir dans sa province de Hwanghae en temps voulu pour le scrutin, étant donnéla distance importante qui lasépare de la frontière avec laChine. C’est pour cette raisonqu’il allait prendre la décisionde ne pas rentrer, mais peutêtreaussi parce que cetteidée l’avait effleuré lors de sonséjour dans ce pays, où il avaiteu un aperçu de ce que devaitêtre la vie en Corée du Sud.

À son arrivée à Séoul, il acommencé par s’inscrire àl’École des Beaux-arts de l’UniversitéHongik, où il a suivi uncursus de maîtrise le destinantà la profession d’artiste. Ila alors pris pour pseudonymeles mots « Sun Mu », qui signifient« aucune ligne », exprimantainsi sa profonde aspirationà voir un jour disparaîtrela frontière qui sépare les deuxCorées. Jamais il ne se sert deson vrai nom ou ne se montreen public, de crainte que celane porte préjudice à sa famillerestée en Corée du Nord.

Les oeuvres de Sun Mu sedistinguent par une critiquevirulente du régime communistenord-coréen et de sesdirigeants. Par leur style évocateurdu pop’art aux couleurscriardes trompeusement gaies,auquel vient s’ajouter une composanted’art officiel nord-coréen,ses tableaux possèdentune dimension indéniablement subversive, quoique de manière implicite,comme ce Kim Jong-il dans son Adidas ou Un Jésus en Corée.

À l’étranger, cette manière paradoxale de représenter la situation nord-coréennea retenu l’attention des milieux de l’art, ce qui a déjà permis à l’artisted’exposer deux fois à New York et à Berlin, et une fois à Jérusalem, Oslo et Melbournedans le cadre de manifestations qui lui étaient entièrement consacrées.Aux côtés d’autres artistes, cette fois, il projette de participer à une expositionqui aura lieu en France dans le courant de l’année. La presse occidentale lequalifie d’« artiste sans visage » et soulignent que ses oeuvres tournent en dérisionces mêmes dirigeants qu’il a dû apprendre à vénérer comme des dieuxdès son enfance

Je suis Sun Mu

Dans nombre de ses oeuvres récentes, Sun Mu meten parallèle la vie quotidienne, les gens, les choses etles événements propres aux deux Corées en les faisantse côtoyer, ce mode de représentation traduisantchez lui une réelle volonté d’apporter sa contribution àla réconciliation et à la coexistence pacifique.

Il analyseles spécificités de la partition coréenne et la situationde la Corée du Nord dans le cadre de sa quête d’identitéartistique, sans se laisser tenter par des considérationspolitiques relevant de la propagande. Il se refuse désormaisà être l’instrument d’une idéologie.

Pour bien comprendre le sens des oeuvres de SunMu, il faut se garder de toute interprétation simpliste etpousser plus loin la réflexion, car ses toiles sont l’d’un vécu et d’émotions qui lui sont propres,mais aussi de la confusion idéologique résultant de sondéchirement entre deux pays aux systèmes politiquesradicalement opposés. Après quatorze années passéesdans son pays d’accueil, il éprouve encore des difficultésà s’adapter à certains aspects de sa nouvelle vie.Souvent, il revient en rêve dans son pays d’origine, puisà son réveil, il retrouve sa solitude et son désarroi faceà une réalité déroutante.

La personnalité de l’homme et son identité d’artistetransparaissent dans une oeuvre intitulée Je suis SunMu, qui a été projetée en ouverture de la septième éditiondu Festival international du film documentaire surla ligne démilitarisée, en septembre dernier. Ce long métrage de quatre-vingtseptminutes dû au réalisateur américain Adam Sjoberg permet de découvrir lavie et l’oeuvre du peintre, ainsi que les objectifs de sa démarche artistique.

Le cinéaste a filmé des scènes de l’exposition de 2014, qui allait tournercourt le jour même de son vernissage dans une galerie de la banlieue de Pékinquand la police en a soudain interdit l’accès au public. Les agents ont saisiet confisqué l’ensemble des tableaux, ainsi qu’une grande bannière, qui setrouvent aujourd’hui encore dans la capitale chinoise. Sun Mu avait cherché àreprésenter sur la toile les espoirs de réunification des deux populations, dansdes dominantes de rouge, blanc et bleu qui évoquent les drapeaux des six paysengagés dans les négociations visant au désarmement nucléaire de la Corée duNord.

Sur la place, Sun Mu, 2015, huile sur toile,160cm x 130cm

« Du reste, je n’avais nullement l’intention d’être présent au vernissage,pour des raisons de sécurité. Depuis l’interdiction de ma première exposition, jeredoute toujours un enlèvement, car dans ce cas, je laisserais derrière moi uneépouse et deux filles », confie-t-il.En dépit des nombreux problèmes auxquels il se heurte dans son intégration,Sun Mu reste fasciné par la diversité culturelle. « En allant exposer à NewYork, j’ai pris conscience de la pluralité de ce monde, où existent des lieux aussidifférents que le Moyen-Orient, l’Afrique, l’Amérique latine, l’Europe et bienentendu les deux Corées. Dans mes oeuvres, j’aimerais parler de la vie desgens qui y vivent », explique-t-il.

Déshabillez-vous

Autre créateur nord-coréen inspiré par le pop’art, Song Byeok se livre dansses oeuvres à une satire du régime nord-coréen. Comme son compatriote SunMu, il est originaire de la province de Hwanghae et se fait appeler par son pseudonyme.En revanche, il n’hésite pas à faire des apparitions en public et nombrede Sud-Coréens ont déjà eu l’occasion de le voir.

Parmi ses toiles les plus célèbres, figure ce portrait en pied composé de latête de Kim Jong-il et du corps de Marilyn Monroe telle qu’on la voit dans lascène culte du film de 1955 The Seven Year Itch, où elle se tient sur une grilled’aération du métro en s’efforçant de retenir sa jupe soulevée par le souffled’air.

Le titre du tableau de Song Byeok, Déshabillez-vous, se comprend commeune invitation à plus d’ouverture adressée à la Corée du Nord.

Les thèmes du pigeon et du papillon sont récurrents dans son oeuvre, caremblématiques du « rêve de liberté qui est profondément enfoui dans le coeurdu peuple nord-coréen », comme l’explique l’artiste.

Sept années durant, Song Byeok a réalisé des affiches destinées à la propagandenord-coréenne, avant de se résoudre à fuir la famine endémique quisévissait dans son pays. En août 2000, il tentera une première fois de le faire,sans succès, suite au décès par noyade de son père, emporté par le fort courantde la Tumen en crue lors de pluies torrentielles. Arrêté par un garde-frontière,Song Byeok sera enfermé dans un camp de rééducation et y perdra la dernièrephalange de son index droit, cette partie de la main des plus importantes pourun peintre. Une fois libéré, il entreprend à nouveau de s’évader en 2001 et réussitcette fois à gagner la Corée du Sud après un séjour d’un an en Chine. En2005, il apprenait la disparition de sa mère et deux ans après, sa soeur cadetteparvenait à le rejoindre grâce à son aide.

Song Byeok à l’oeuvre dans son studio.

Après avoir poursuivi ses études au Département de pédagogie artistique de l’Université nationale de Gongju, où il entre en 2007,Song Byeok s’inscrit à l’École des beaux-arts de l’UniversitéHongik afin de se spécialiser dans la peintureorientale. Pour subvenir à ses besoins, il enchaîne lespetits emplois et travaille notamment comme déménageur.

En 2011, il exposera pour la première fois sesoeuvres lors d’une manifestation intitulée Fuite éternellequi lui est entièrement consacrée à Insa-dong,un quartier de Séoul. Trois autres lui succéderont auxÉtats-Unis, dont celle de Washington, en 2012, qui attirerade nombreuses personnalités, notamment RobertKing, l’émissaire spécial américain chargé des droits del’homme en Corée du Nord. De grands médias audiovisuelscomme CNN, la BBC et NHK étaient égalementprésents. .

Suite à cet événement, Song Byeok allait êtreinvité à prononcer des conférences dans plusieurs universitésaméricaines. En octobre dernier, c’est à Francfort qu’il a exposéses oeuvres dans le cadre des festivités organisées àl’occasion du vingt-cinquième anniversaire de la réunificationallemande et son tableau Kim Jong-il et MarilynMonroe y a particulièrement retenu l’attention dela presse. Encouragé par ce succès, l’artiste travaille àl’organisation d’une seconde exposition allemande quise tiendra en septembre prochain à l’ancien emplacementde la frontière entre les deux Allemagnes.

Déclarant ne pas vouloir être cantonné dans unethématique exclusivement nord-coréenne, Song Byeoka l’espoir qu’il pourra contribuer à sa manière à allégerles souffrances des hommes de par le monde, y comprisbien sûr en Corée du Nord, où le peuple connaît lafaim et la répression, mais dont il souhaite voir se réaliserles rêves de paix et de bonheur. Un petit mot griffonnésur la table de son studio en dit long sur sa clairvoyance: « Ne vous laissez pas étouffer par la réalité,lancez-vous toujours de nouveaux défis et suivez votrevoie, patiemment et avec constance ».

L’art comme terrain d’entente

Kang Jin-myung, l’aîné des artistes nord-coréensréfugiés en Corée du Sud, était déjà d’une santé fragilequand il est enfin parvenu à Séoul en 2009, dix ansaprès s’être enfui de Corée du Nord, où il avait longtempsexercé comme peintre d’affiches de propagandepour le régime. À son arrivée à Qingdao, il s’est fait passerpour un Chinois d’origine coréenne pour travaillerdans une usine d’accessoires dirigée par un entrepreneursud-coréen. Ancien étudiant de la Faculté desbeaux-arts d’une université de Pyongyang, ce peintrechevronné menait de front sesactivités artistiques au ministèredes Forces armées populaireset l’enseignement à l’universitéen tant que titulaire dechaire.

En février 2010, une premièreexposition se déroulantdans le quartier d’Insa-dongportera entièrement sur sonoeuvre, représentée par environsoixante-dix tableaux de paysagesdes deux Corées. À peineun mois plus tard, l’artiste,atteint d’un cancer du foie, y succombera à l’âge de cinquante-sept ans. Quandil avait reçu des soins, il n’avait pas pour autant cessé de travailler jour et nuit àla préparation de cette manifestation. À ce sujet, il déclarait souvent à regret :« Je voudrais pouvoir continuer de peindre et voir un jour la réunification, maisje n’en aurai pas la force ».

« Dans les années 1970 et 80, où a commencé ma carrière, la situation économiqueétait bonne en Corée du Nord. J’étais bien payé et on ne vivait pas simal que cela. En revanche, il n’y avait pas de liberté. Pour un artiste, c’était trèsdur d’être privé de sa liberté de création ».

Sa première exposition, qui allait aussi être la dernière, avait pris pour thème: « À la recherche de la liberté dont je rêvais » et l’un de ses tableaux, une huileintitulée Vagues de liberté, donnait toute la mesure de la soif de liberté de sonauteur. Celui-ci adopta un temps le pseudonyme de Kang Ho pour éviter d’êtrela cible de représailles de la part de son ancien pays.

Quant à sa profonde aspiration à la réunification de la péninsule coréenne,il l’exprimait par ces mots : « La culture et les arts sont là pour que les deuxCorées ne fassent plus qu’une, par-delà les divergences idéologiques. J’ai laconviction que leur réunification peut être réalisée de façon pacifique dans unproche avenir, à condition que les deux pays s’efforcent d’être plus proches encherchant un terrain d’entente dans l’art ».

Rêve de liberté, Song Byeok, 2013, acrylique surpapier de riz épais, 82cm x 110cm

Kim Hak-soonJournaliste, professeur invité àl’École des médias et de la communicationde l’Université Koryo

전체메뉴

전체메뉴 닫기